Kwer’ata Re’esu ou le symbole du pillage culturel de l’Éthiopie

Malgré son statut d'icône sacrée, Kwer'ata Re'esu est devenue une marchandise convoitée par des collectionneurs avides d'antiquités. Photo: Martin Bailey (photograph), The Art Newspaper

Kwer’ata Re’esu, une icône peinte il y a plus de cinq siècles, ravive les revendications éthiopiennes sur ses biens culturels pillés, quelques mois après le refus de la monarchie britannique de restituer les restes du prince Alemayehu, déporté à l’âge de 7 ans, décédé en 1879 et enterré dans les catacombes du château de Windsor.

Vénérée par des générations d’aristocrates éthiopiens et volée par un fonctionnaire britannique en 1868, l’icône sacrée tant recherchée vient d’être retrouvée au Portugal, en possession d’un héritier de Luiz Reis Santos, le célèbre historien de l’art portugais, qui a acheté le tableau en 1950.

Un article très documenté du magazine The Art Newspaper, accompagné d’une photo, révèle au monde l’existence de cette œuvre qui soulève de vifs débats en Éthiopie et dans des cercles de passionnés à travers le monde. De mémoire d’homme, c’est probablement la seule fois où l’icône a été vue par d’autres personnes que l’entourage immédiat du dernier acquéreur.

Elle était enveloppée dans un morceau de soie italienne datant d’environ 1600, sans aucune mention de ses origines éthiopiennes, ni de son titre, Kwer’ata Re’esu.

Le débat entre spécialistes n’est pas clos, mais la majorité situe l’origine du tableau dans la péninsule ibérique, aux alentours de 1520. Il représente le Christ avec une couronne d’épines et du sang coulant de ses blessures. On pense qu’il a été peint par un artiste européen dans le style flamand, mais l’identité exacte de l’artiste est inconnue. L’œuvre s’est retrouvée à la cour royale d’Éthiopie quelques années plus tard, livrée par des missionnaires jésuites.

Kwer’ata Re’esu est devenue une icône sacrée pour les empereurs éthiopiens successifs, à partir du XVIIe siècle. Les nobles prêtaient serment d’allégeance face à cette œuvre mesurant seulement 33 cm x 25 cm, réputée dans tout l’empire pour ses supposés pouvoirs divins. Elle faisait partie de l’attirail guerrier que les souverains exhibaient sur les champs de bataille.

Après la mort de l’empereur Théodoros II en 1868, à l’issue de la bataille de Magdala opposant les troupes coloniales britanniques et les forces éthiopiennes, plusieurs objets de valeur ont été pillés, dont l’icône sacrée. Elle s’est retrouvée en possession de Richard Holmes, agent du British Museum, qui avait été envoyé pour rapporter des manuscrits et des antiquités d’Éthiopie.

À son retour, il n’a pas remis le chef-d’œuvre au musée, mais l’a gardé secrètement, de sorte que le musée n’a pas été directement impliqué dans son traitement. L’héritier de Holmes a ensuite vendu le tableau chez Christie’s en 1917.

Kwer’ata Re’esu a changé de propriétaires plusieurs fois, au cours des décennies suivantes avant d’entrer dans la collection personnelle de Luis Reis Santos 1950. Le parcours complexe de ce tableau illustre parfaitement la difficulté de résoudre l’épineuse question de la restitution des biens culturels dérobés lors des expéditions coloniales.

Carrefour-Soleil

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