Nobel de médecine 2023 : c’est aussi un hommage à l’abnégation de deux chercheurs marginalisés

La biochimiste Katalin Karikó et l'immunologiste Drew Weissman ont formé un duo qui a su imposer ses idées à une communauté scientifique réticente. Photo: UPenn

L’ARN messager est connu du grand public, depuis l’émergence du Covid-19, et de la mise au point des vaccins Moderna et Ffizer en 2020. Mais les deux pionniers qui ont jeté les bases de la création de ces vaccins ont été longtemps mis au ban de la communauté scientifique avant de connaître la gloire.

La biochimiste Katalin Karikó (68 ans) et l’immunologiste Drew Weissman (64 ans) ont reçu lundi le prix Nobel de physiologie ou de médecine pour leurs recherches fondamentales. Ils ont montré que les modifications chimiques des éléments constitutifs moléculaires de l’ARN messager (ARNm) pouvaient permettre son utilisation à des fins thérapeutiques et vaccinales.

Les deux chercheurs étaient toujours convaincus que l’ARNm messager détenait la clé du traitement des maladies pour lesquelles une plus grande quantité du bon type de protéine peut être utile, comme la réparation du cerveau après un accident vasculaire cérébral.

L’idée était révolutionnaire dans les années 90 mais jugée saugrenue par la majorité de leurs pairs. Katalin Karikó, jeune chercheuse hongroise immigrée aux Etats-Unis, après avoir obtenu son doctorat à l’université hongroise de Szeged en 1982, a passé une grande partie des années 1990 à rédiger des demandes de subventions pour financer ses recherches sur l' »acide ribonucléique messager », molécules génétiques qui indiquent aux cellules les protéines à fabriquer, essentielles pour maintenir notre corps en vie et en bonne santé. Elle n’a essuyé que des refus.

L’université de Pennsylvanie, où elle était en passe d’obtenir un poste de professeur, a décidé de mettre fin à ses travaux après que les refus de subventions se sont accumulés. En 1995, ses supérieurs lui ont alors imposé un choix cruel : partir ou être rétrogradée. Elle choisit la rétrogradation.

Katalin Karikó, n’avait pas encore de carte verte à l’époque et avait besoin d’un emploi pour renouveler son visa. Elle savait aussi qu’elle ne pourrait pas envoyer sa fille à l’université sans la forte réduction accordée au personnel.

En 1997, Drew Weissman, brillant stagiaire d’Anthony Fauci, l’emblématique patron de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses américain, a commencé une recherche sur l’ARN et la biologie du système inné à Boston. Déçu par l’indifférence affichée par ses supérieurs, il n’a pas hésité à prendre un poste moins prestigieux à L’université de Pennsylvanie.

La force d’un duo

Ce déménagement a permis aux deux « marginaux » de se rencontrer et d’unir leur force de persuasion nécessaire à l’obtention d’un premier financement. Libérés des contraintes matérielles, les deux chercheurs sont parvenus très vite à mettre en évidence le rôle de l’ARNm synthétique (non modifié) dans l’activation des réponses inflammatoires par les cellules dendritiques.

Cette découverte les a conduits à constater que l’ARN des cellules de mammifères était souvent modifié chimiquement, alors que l’ADN et l’ARN des bactéries et des virus n’étaient souvent pas modifiés.

À peu près à la même époque, d’autres chercheurs ont découvert que certaines protéines clés qui régulent l’inflammation, les récepteurs de typeoll (TLR), détectent spécifiquement les modifications de l’ADN et de l’ARN pour déclencher des réponses inflammatoires. Les TLR sont connus pour reconnaître des schémas moléculaires qui identifient de manière unique les agents pathogènes.

2005 a été l’année de la sortie de l’anonymat et de la reconnaissance timide par la communauté scientifique, après la publication d’un article dans lequel les deux chercheurs ont montré que l’ARN synthétique active plusieurs TLR, entraînant des réponses inflammatoires.

Ils ont expliqué dans ce texte que l’ajout de modifications aux bases de l’ARNm synthétique – notamment la pseudouridine (Ψ), la 5-méthylcytidine (m5C), la N6-méthyladénosine (m6A), la 5-méthyluridine (m5U) ou la 2-thiouridine (s2U) – a supprimé les réponses inflammatoires, ce qui est crucial. Ils ont ensuite montré que ces modifications pouvaient également améliorer la production de protéines.

Cette découverte a donné le coup d’envoi au domaine des thérapies à base d’ARNm et a stimulé la création de Moderna et de BioNTech, les deux entreprises qui allaient ensuite mettre au point des vaccins à base d’ARNm contre le COVID-19, susceptibles de sauver des vies. Aujourd’hui, m1 Ψ est la base modifiée la plus couramment utilisée dans la production de vaccins ARNm et elle est présente dans de nombreux vaccins.

Carrefour-Soleil

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