Le cycle de l’eau mondial bascule dans l’imprévisible avec des catastrophes sans précédent

L'année 2024 restera dans les annales comme un tournant dramatique pour le cycle hydrologique mondial. Dans son dernier rapport sur l'état des ressources en eau, publié ce 18 septembre, l’OMM souligne que notre planète traverse une crise hydrique d'une ampleur inédite.
Des régions comme le nord-ouest de l'Inde, les Grandes Plaines américaines ou la péninsule du Yucatan voient leurs nappes s'épuiser malgré l'absence de sécheresse prolongée.

L’Organisation météorologique mondiale (OMM) tire la sonnette d’alarme : les ressources en eau planétaires subissent une pression croissante avec des événements extrêmes de plus en plus imprévisibles.

L’année 2024 restera dans les annales comme un tournant dramatique pour le cycle hydrologique mondial. Dans son dernier rapport sur l’état des ressources en eau, publié ce 18 septembre, l’OMM souligne que notre planète traverse une crise hydrique d’une ampleur inédite. Elle est marquée par des contrastes saisissants entre sécheresses record et inondations dévastatrices.

« Les ressources en eau de la planète sont soumises à une pression croissante et, dans le même temps, les risques liés à l’eau, de plus en plus extrêmes, ont un impact croissant sur les vies et les moyens de subsistance», a déclaré Celeste Saulo, directrice de l’OMM, dans un communiqué accompagnant la publication du rapport annuel sur l’état des ressources en eau dans le monde.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 60% de la superficie des bassins versants mondiaux ont connu des conditions anormales en 2024. Cette proportion, identique à celle de 2021 et 2023, révèle une tendance inquiétante où seul un tiers de la planète conserve des conditions hydriques normales. Le phénomène El Niño, particulièrement intense en début d’année, a amplifié ces déséquilibres en provoquant des sécheresses prolongées en Amérique du Sud et en Afrique australe.

L’Amazonie, poumon vert de la planète, a vécu sa pire sécheresse depuis le début des observations. Le Rio Negro à Manaus a atteint un niveau historiquement bas de 12,11 mètres en octobre, soit 59 centimètres sous le précédent record de 2023. Cette situation dramatique a affecté 1,2 million de personnes et 59% du territoire brésilien.

À l’opposé, l’Europe a connu ses inondations les plus étendues depuis 2013. Un tiers du réseau hydrographique européen a dépassé les seuils de crue « élevée » (période de retour de cinq ans), causant 335 décès et 18 milliards d’euros de dégâts. En septembre, la tempête Boris a déversé l’équivalent de trois mois de précipitations sur l’Europe centrale en seulement quatre jours.

Les températures lacustres révèlent également l’ampleur du réchauffement. En juillet 2024, 75 des principales masses d’eau analysées mondialement affichaient des températures anormalement élevées, témoignant d’un réchauffement généralisé des écosystèmes aquatiques.

L’Afrique subsaharienne a payé le plus lourd tribut avec plus de 2 500 morts, 4 millions de déplacés et des dégâts considérables aux infrastructures. La zone tropicale africaine a reçu 50% de précipitations supplémentaires par rapport à la normale, transformant des régions entières en zones sinistrées.

Paradoxalement, l’Afrique australe a simultanément connu une sécheresse sévère. Les bassins du Zambèze, du Limpopo et de l’Orange ont enregistré des débits très inférieurs à la normale, illustrant les contrastes extrêmes qui caractérisent désormais le climat continental.

La zone tropicale africaine a reçu 50% de précipitations supplémentaires par rapport à la normale, transformant des régions entières en zones sinistrées. Photo: Bilanol

Les eaux souterraines sous pression

L’analyse de 37 406 puits de surveillance dans 47 pays révèle que 25% affichent des niveaux inférieurs à la normale. Cette situation résulte non seulement des conditions climatiques, mais aussi de la surexploitation des aquifères. Des régions comme le nord-ouest de l’Inde, les Grandes Plaines américaines ou la péninsule du Yucatan voient leurs nappes s’épuiser malgré l’absence de sécheresse prolongée.

Pour la troisième année consécutive, tous les glaciers mondiaux ont perdu de la masse. La fonte de 450 gigatonnes de glace en 2024 équivaut à une élévation du niveau marin de 1,2 millimètre. La Scandinavie, le Svalbard et l’Asie du Nord ont enregistré des pertes record, tandis que les glaciers colombiens ont diminué de 5% en une seule année sous l’effet d’El Niño.

Stefan Uhlenbrook, directeur de l’hydrologie à l’OMM, souligne que « le changement climatique rend le cycle hydrologique terrestre de plus en plus irrégulier. » Cette imprévisibilité croissante complique les prévisions et la gestion des ressources, rendant cruciale l’amélioration des systèmes de surveillance et d’alerte précoce.

L’objectif « Alerte précoce pour tous » de l’ONU, visant une couverture universelle d’ici 2027, devient ainsi une priorité absolue. Face à ces défis, la communauté internationale doit repenser sa gestion de l’eau comme ressource stratégique vitale, dans un contexte où l’exceptionnelle devient la norme.

Frank Kodbaye