La faim recule dans le monde, mais la victoire reste fragile

720 millions de personnes - soit 8% de la population mondiale - souffraient encore de sous-alimentation en 2024. Un chiffre dramatique, mais qui marque une inflexion positive après quatre années de détérioration continue liées au Covid-19.
L'objectif "Faim zéro" des 17 Objectifs de développement durable (ODD) de l'ONU semble hors d'atteinte.

Pour la première fois depuis la pandémie, le nombre de personnes souffrant de malnutrition diminue globalement. Mais cette embellie cache de profondes inégalités régionales et géographiques qui compromettent l’objectif « Faim zéro » de l’ONU pour 2030.

L’humanité reprend-elle enfin le dessus sur la faim ? Selon le rapport annuel du State of Food Security and Nutrition in the World (SOFI) publié par cinq agences onusiennes, dont le Programme alimentaire mondial (PAM), 720 millions de personnes – soit 8% de la population mondiale – souffraient encore de sous-alimentation en 2024. Un chiffre dramatique, mais qui marque une inflexion positive après quatre années de détérioration continue liées au Covid-19.

La « tempête parfaite » de 2020-2024 – pandémie, guerre en Ukraine, dérèglement climatique – avait propulsé l’inflation alimentaire mondiale de 2% à près de 17% début 2023. Cette flambée des prix a particulièrement frappé les pays à faible revenu, certains subissant jusqu’à 30% d’inflation alimentaire au pic de la crise.

Maximo Torero Cullen, économiste en chef à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), souligne que ces chocs « illustrent à quel point les systèmes agroalimentaires mondiaux restent fragiles. » La stabilisation actuelle des prix permet aux familles de retrouver progressivement accès à une alimentation suffisante, après avoir été contraintes de réduire la fréquence des repas et de se rabattre sur des aliments ultra-transformés, 47% moins chers que les produits nutritifs.

Les disparités régionales révèlent des stratégies contrastées. L’Amérique latine brille par ses résultats : la sous-alimentation y est tombée à 5% en 2024 (34 millions de personnes), contre 6% en 2020. Cette réussite s’explique par des programmes de protection sociale robustes – transferts monétaires, programmes d’emploi, cantines scolaires au Brésil, en Colombie ou au Pérou.

À l’opposé, l’Afrique concentre 307 millions d’affamés, soit plus de 20% de sa population. Le continent devrait représenter près de 60% des malnutris chroniques en 2030, soit plus du double de la moyenne mondiale. Cette situation alarmante reflète des inégalités structurelles profondes, notamment la discrimination dont souffrent les femmes africaines.

Les femmes, pilier de l’agriculture africaine (deux tiers de la main-d’œuvre à petite échelle), restent victimes d’inégalités criantes dans l’accès à la terre, aux outils et au pouvoir décisionnel. En Afrique, seules 48% des femmes bénéficient d’une diversité alimentaire minimale. Selon la FAO, soutenir efficacement les agricultrices pourrait générer 1 000 milliards de dollars supplémentaires et réduire l’insécurité alimentaire de 45 millions de personnes.

Selon la FAO, soutenir efficacement les agricultrices pourrait générer 1 000 milliards de dollars supplémentaires et réduire l’insécurité alimentaire de 45 millions de personnes.

L’objectif 2030 compromis

Malgré ces progrès, l’objectif « Faim zéro » des 17 Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU semble hors d’atteinte. Les projections tablent sur 512 millions de malnutris chroniques en 2030. Pire encore, les coupes budgétaires annoncées début 2025 par les États-Unis menacent de réduire l’aide nutritionnelle de 44% par rapport à 2022, compromettant le traitement de la malnutrition sévère qui tue jusqu’à 60% des enfants non pris en charge.

La directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM), Cindy McCain, tire la sonnette d’alarme sur l’effondrement des financements dédiés à la lutte contre la malnutrition. Après avoir secouru 124 millions de personnes l’année dernière, l’organisation internationale fait face à des coupes budgétaires drastiques pouvant atteindre 40%, privant des dizaines de millions d’individus de cette bouée de sauvetage alimentaire cruciale.

« Bien que la légère réduction des taux globaux d’insécurité alimentaire soit bienvenue, l’échec continu de fournir une aide essentielle aux personnes dans le besoin anéantira bientôt ces gains durement acquis, provoquant une instabilité accrue dans les régions volatiles du monde. »

Emily Farr, responsable de la sécurité alimentaire et économique chez Oxfam International, dénonce les mécanismes structurels à l’œuvre derrière cette catastrophe humanitaire. « Il ne s’agit pas d’une crise de pénurie, mais d’une crise d’inégalité », ajoute-t-elle. « Les pays à faible revenu paient le prix fort pour une crise qu’ils n’ont pas créée. »

Face à cette spirale destructrice, la responsable d’Oxfam exhorte la communauté internationale à une mobilisation d’urgence coordonnée : « Rétablir l’aide réduite, réprimer les profiteurs alimentaires et investir dans les agriculteurs locaux et les systèmes alimentaires locaux qui nourrissent les gens, pas dans les marges bénéficiaires. »

L’amélioration globale de 2024 offre un répit, mais la route vers l’éradication de la faim exige une mobilisation internationale renforcée, particulièrement en faveur de l’Afrique et des femmes rurales.

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