
Fini le monopole américain sur l’intelligence artificielle de pointe. Selon une étude récente de Stanford, l’échiquier mondial de l’IA a connu un bouleversement radical en à peine trois ans, redessinant complètement les rapports de force dans ce secteur stratégique.
Au crépuscule de 2021, quand ChatGPT faisait ses premiers pas médiatiques, seuls deux géants américains – OpenAI et Google – pouvaient prétendre dominer le secteur de l’intelligence artificielle avancée. Aujourd’hui, cette suprématie vacille face à une concurrence mondiale de plus en plus féroce, comme le démontre le dernier rapport de l’Institute for Human-Centered AI (HAI) de Stanford.
L’indice AI 2025 brosse le portrait d’une discipline en pleine effervescence, où la quête de « l’intelligence artificielle générale » (une IA dont les capacités surpasseraient celles des humains) s’intensifie et se mondialise à un rythme vertigineux.
Si OpenAI et Google conservent leur position de leaders, plusieurs acteurs comblent rapidement leur retard. Aux États-Unis, trois challengers sérieux émergent : Meta avec ses modèles Llama « à poids ouvert » (dont le code source est accessible gratuitement), Anthropic (fondée par d’anciens d’OpenAI) et xAI, la société d’Elon Musk.
Mais c’est de Chine que vient la plus grande surprise. Selon le classement LMSYS, référence incontournable du secteur qui évalue les performances des systèmes d’IA, le modèle R1 de l’entreprise chinoise DeepSeek talonne désormais les créations les plus avancées des géants américains.
« Cela crée un espace passionnant. Il est bon que ces modèles ne soient pas tous développés par cinq personnes dans la Silicon Valley », observe Vanessa Parli, directrice de recherche au HAI. « Les modèles chinois rattrapent les modèles américains en termes de performances, mais de nouveaux acteurs émergent dans le monde entier », affirme-t-elle.
L’irruption de DeepSeek-R1 en janvier 2025 a provoqué une onde de choc dans l’industrie, d’autant que l’entreprise affirme avoir construit son modèle avec beaucoup moins de ressources informatiques que ses concurrents américains. Et ce malgré les tentatives répétées de Washington pour limiter l’accès de la Chine aux puces électroniques nécessaires au développement de l’IA de pointe.
Le rapport confirme la montée en puissance globale de l’IA chinoise, avec des modèles aux performances similaires à ceux des États-Unis selon le test LMSYS. La Chine publie désormais plus d’articles scientifiques et dépose plus de brevets liés à l’IA que les États-Unis, même si l’étude ne se prononce pas sur leur qualité relative.
Les États-Unis conservent néanmoins l’avantage en termes de modèles « d’avant-garde » (les plus performants techniquement) : 40 contre 15 pour la Chine et seulement 3 pour l’Europe. Le rapport note également l’émergence récente de modèles puissants au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est.
Les nouvelles tendances
L’étude souligne deux évolutions majeures. D’abord, la démocratisation des modèles « à poids ouvert » – ces systèmes d’IA téléchargeables et modifiables gratuitement. Meta a initié cette tendance avec Llama en février 2023, suivi par DeepSeek et la française Mistral. Même OpenAI, longtemps réticente, prévoit de publier un modèle open source cet été – son premier depuis GPT-2. L’écart de performance entre modèles ouverts et fermés s’est réduit de 8% à 1,7% en un an, bien que 60,7% des systèmes les plus avancés restent propriétaires.
Ensuite, l’amélioration spectaculaire de l’efficacité énergétique : le matériel est devenu 40% plus performant en un an, permettant de réduire les coûts d’utilisation et de faire fonctionner des modèles relativement puissants sur des appareils personnels.
Malgré ces gains d’efficience, les derniers modèles d’IA requièrent des ressources colossales : des dizaines de billions de « tokens » (unités représentant des fragments de données) et des dizaines de milliards de pétaflops de puissance de calcul. Le rapport prédit d’ailleurs que les données d’entraînement disponibles sur Internet seront épuisées entre 2026 et 2032, accélérant l’adoption de données « synthétiques » générées elles-mêmes par l’IA.
L’impact socio-économique de cette révolution est déjà visible : explosion de la demande de compétences en apprentissage automatique, investissements privés records (150,8 milliards de dollars en 2024), engagement massif des gouvernements et doublement de la législation relative à l’IA aux États-Unis depuis 2022.
Mais cette adoption accélérée entraîne son lot de problèmes, avec une augmentation des incidents impliquant des modèles d’IA défaillants ou mal utilisés, même si la recherche sur la sécurisation de ces technologies progresse également.
Plus impressionnant encore : certains systèmes d’IA surpassent déjà les capacités humaines dans des domaines spécifiques comme la classification d’images, la compréhension du langage ou le raisonnement mathématique – une évolution qui illustre la vitesse fulgurante du progrès technologique et nous rapproche peut-être de cette intelligence artificielle générale qui fascine autant qu’elle inquiète.
Carrefour-Soleil
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