
Depuis 2020, la province du Haut-Uélé(nord-est) vit une catastrophe écologique et humaine orchestrée par des opérateurs chinois et leurs complices congolais, sous la protection active des forces de sécurité.
Dans les eaux boueuses du Haut-Uélé, les pelleteuses chinoises ont creusé jour et nuit pendant des années, transformant plus de 250 kilomètres de cours d’eau en cimetières liquides. L’enquête explosive de l’ONG PAX dévoile l’ampleur d’une ruée vers l’or qui enrichit une poignée d’acteurs au détriment des populations locales et de l’environnement.
Loin de l’image romantique de l’orpailleur artisanal, cette exploitation relève de l’industrie lourde déguisée. Des engins semi-industriels ont éventré les berges sur des étendues de 50 à 400 mètres de large, déplaçant parfois entièrement le lit des rivières. Le résultat : des chaînes de fosses inondées s’étendant sur des dizaines de kilomètres, véritables pièges mortels pour les communautés riveraines.
Les victimes se comptent par dizaines. Enfants et adultes ont péri noyés dans ces excavations abandonnées sans protection, transformant ce qui était autrefois des cours d’eau paisibles en zones de danger permanent. Pour les communautés autochtones Mbuti, dont les ancêtres leur avaient enseigné à « protéger la rivière », c’est un mode de vie millénaire qui s’effondre.
Le plus scandaleux dans cette affaire réside dans la complicité active des autorités congolaises. Contrairement aux zones contrôlées par les groupes armés, le Haut-Uélé reste sous autorité gouvernementale. Pourtant, au lieu de réprimer ces activités illégales, l’État les protège.
Des centaines de militaires et policiers congolais ont été déployés pour sécuriser ces opérations. Les forces de sécurité bloquent l’accès aux sites miniers aux fonctionnaires locaux chargés de la surveillance, créant des enclaves d’impunité. Un responsable local témoigne de cette aberration : « Ils créent leur base dans la brousse et mettent les militaires pour leur garde. Vous-mêmes, les gens de l’État, vous n’accédez pas au site ! »

Le réseau Shishombo : de l’illégalité à la reconnaissance officielle
Au cœur de ce système se trouve Saidi Shishombo Mihali, homme d’affaires présenté comme le « président » de la fédération des coopératives minières du Haut-Uélé. Ces prétendues coopératives artisanales servent de façade légale à des opérations industrielles dirigées par des ressortissants chinois.
L’ironie atteint son comble en octobre 2022 : deux mois seulement après que le président Tshisekedi a ordonné l’arrêt de ces exploitations illicites, la Chancellerie des Ordres nationaux décerne à Shishombo une « médaille du mérite civique ». Cette récompense, malgré son rôle central dans les activités dénoncées par le gouvernement, illustre parfaitement les contradictions du système.
Membre de l’UDPS, parti présidentiel, Shishombo a même fait campagne pour la réélection de Tshisekedi lors des élections de 2023, avant d’être élu puis finalement invalidé comme député national.
L’ampleur de la catastrophe écologique dépasse les frontières provinciales. Les cours d’eau détruits se déversent dans le fleuve Congo, menaçant le bassin de la deuxième plus grande forêt tropicale au monde. L’utilisation probable de mercure et de cyanure pour l’extraction aggrave la contamination, sans qu’aucune étude d’impact environnemental n’ait été menée.
La déforestation massive, causée par la construction de routes vers les sites miniers, achève de transformer l’écosystème. Les images satellites révèlent l’étendue des dégâts : un paysage lunaire remplace la végétation luxuriante, témoignage visible d’un pillage organisé.
Des communautés abandonnées
Pour les populations locales, cette ruée vers l’or ne génère que misère supplémentaire. Les exploitants détruisent les champs sans compensation adéquate, privent les communautés d’accès à l’eau potable et chassent les orpailleurs artisanaux de leurs sites traditionnels.
Une mère de huit enfants témoigne : « Quand je suis arrivée sur place, j’ai vu une machine tout démolir ! J’ai pleuré et pleuré. Je les ai suppliés de me laisser récupérer ne serait-ce que le manioc arraché, mais ils ont refusé. » Ces drames individuels se multiplient, aggravant la pauvreté dans une région déjà exsangue.
Le Haut-Uélé n’est pas un cas isolé. L’analyse satellitaire révèle 250 kilomètres supplémentaires de cours d’eau endommagés en Ituri, tandis que des activités similaires sont signalées au Sud-Kivu (Est) et en Tshopo (Nord). Cette « ruée mondiale illégale vers l’or », alimentée par la flambée des cours, implique des ressortissants chinois dans plusieurs pays africains, sud-américains et asiatiques.
Ces dernières années, l’est du Congo a vu fleurir des opérations minières douteuses, souvent qualifiées d’illégales et impliquant des ressortissants chinois. Le phénomène s’étend au Sud-Kivu, où la présence de groupes armés hors contrôle de l’État complique encore la donne, ainsi qu’à la province du Tshopo.
Le gouvernement chinois, interrogé sur ces accusations, se contente de rappeler que « le gouvernement chinois demande toujours aux citoyens et aux entreprises chinoises à l’étranger de respecter strictement les lois et réglementations locales. » Une réponse bien tiède face à l’ampleur des dégâts.

L’urgence d’une action internationale
Face à ce pillage organisé, les recommandations de PAX appellent à une mobilisation générale : enquêtes judiciaires, sécurisation des sites abandonnés, études d’impact environnemental, sanctions contre les forces de sécurité complices. Mais surtout, une pression internationale sur le président Tshisekedi pour qu’il transforme ses déclarations en actes.
Car derrière les discours officiels dénonçant l’exploitation des ressources par les rebelles, c’est l’appareil d’État lui-même qui facilite le pillage dans les zones sous contrôle gouvernemental. Une contradiction majeure qui révèle les limites de la gouvernance congolaise et l’urgence d’une réforme profonde du secteur minier.
Le Haut-Uélé paie aujourd’hui le prix de décennies de mauvaise gouvernance et d’ingérences extérieures. Ses rivières dévastées témoignent d’un modèle extractif destructeur qui enrichit une minorité au détriment de l’environnement et des populations. Sans action ferme et coordonnée, cette tragédie risque de se répéter dans d’autres provinces, achevant de transformer inéluctablement les richesses de la RDC en malédiction pour son peuple.
Frank Kodbaye