
La promesse d’un pétrole « propre » fait long feu. Une étude scientifique suisse démontre l’impossibilité physique d’extraire du pétrole sans impact sur le climat, même avec les technologies les plus avancées de capture du dioxyde de carbone (CO₂). Un coup dur pour les compagnies pétrolières qui misent sur cette innovation pour verdir leur image.
C’est l’histoire d’une équation impossible. D’un côté, des pétroliers qui cherchent à poursuivre l’exploitation des hydrocarbures dans un monde qui exige la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
De l’autre, une réalité physique implacable : le volume de CO₂ émis par la combustion du pétrole est trois fois supérieur à la capacité de stockage des gisements dont il est extrait.
Malgré l’évidence, régulièrement documentée depuis une soixantaine d’années, les majors américaines du secteur ne cessent de communiquer à tire-larigot sur l’efficacité de leur trouvaille : la Récupération assistée du pétrole (RAP), connue sous le nom d’Enhanced Oil Recovery (EOR) en anglais.
Le procédé combine deux technologies : le captage direct dans l’air (Direct Air Capture ou DAC) et la récupération assistée des hydrocarbures (RAH). Cette dernière consiste à injecter du CO₂ dans des gisements quasi-épuisés pour en extraire les dernières gouttes de pétrole.
L’étude menée par Marco Mazzotti et son équipe de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) démonte méthodiquement le concept de « pétrole net zéro » que l’industrie pétrolière ne cesse de promouvoir, arguant que ce type d’extraction serait compensé par la capture et le stockage souterrain de CO₂ atmosphérique.

Le compte n’y est pas
Les chercheurs suisses ont analysé l’ensemble du cycle de vie des gisements pétroliers. Leur verdict est sans appel : même en utilisant les technologies les plus avancées de capture du CO₂, il est physiquement impossible d’obtenir un pétrole « neutre en carbone ». La raison ? Le volume de CO₂ qu’il faudrait stocker pour compenser les émissions du pétrole extrait et brûlé excède largement la capacité des réservoirs souterrains.
Selon les dernières projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le maintien du réchauffement climatique sous la barre des 1,5°C nécessitera de stocker entre 350 et 1 200 milliards de tonnes de CO₂ grâce aux technologies de capture et stockage du carbone.
Or, la capacité mondiale de stockage par les techniques de RAP n’atteint que 140 milliards de tonnes de CO₂, soit une fraction des besoins estimés. Cette limitation physique impose une conclusion sans appel : la RAP ne peut constituer qu’une solution partielle au défi du stockage du carbone. L’essentiel du CO₂ capté devra être stocké par d’autres moyens à grande échelle pour atteindre les objectifs climatiques.
Cette révélation intervient alors qu’Occidental Petroleum s’apprête à inaugurer au Texas la plus grande usine de captage direct de CO₂ au monde. Baptisée Stratos, cette installation devrait capturer jusqu’à 500 000 tonnes de CO₂ par an. La compagnie américaine promet d’utiliser ce CO₂ pour produire du « pétrole net zéro », une affirmation que l’étude suisse remet directement en cause.
Pour Wijnand Stoefs, du groupe de surveillance Carbon Market Watch, ces promesses ne sont qu’un « discours de relations publiques.» Les pétroliers tentent également de verdir leur image en achetant des crédits carbone pour compenser leurs émissions, une pratique tout aussi contestable selon les experts.
Marco Mazzotti est catégorique : la seule solution pour réduire réellement les émissions de gaz à effet de serre est de diminuer la production et la consommation de pétrole. « Nous pouvons capturer et stocker le CO₂ autant que nous voulons, mais sans réduction drastique de la production d’hydrocarbures, nous n’atteindrons jamais nos objectifs climatiques », a conclu le chercheur.
La technologie DAC, bien que prometteuse pour certaines applications industrielles, ne peut donc pas servir d’alibi à la poursuite de l’exploitation pétrolière. Une conclusion qui devrait alimenter le débat sur la transition énergétique et les stratégies de décarbonation de l’industrie fossile.
Carrefour-Soleil
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