
Les conflits ukrainien et gazaoui détournent les financements climatiques du continent le plus vulnérable au réchauffement.
Cruel paradoxe : tandis que l’Afrique brûle sous les effets du changement climatique qu’elle n’a pas causé, les financements pour son adaptation s’amenuisent au profit d’une course aux armements mondiale sans précédent depuis la guerre froide.
Ce constat alarmant a dominé le deuxième Sommet africain sur le climat organisé en Éthiopie, où dirigeants africains et experts internationaux ont dénoncé l’assèchement des fonds climatiques au profit des dépenses militaires provoquées par les guerres en Ukraine et à Gaza.
Les chiffres révèlent l’ampleur du défi. Selon l’organisme Climate Policy Initiative (CPI), l’Afrique a besoin de 70 milliards de dollars annuels pour s’adapter aux dérèglements climatiques. En 2023, elle n’en a reçu que 14,8 milliards, soit à peine un cinquième des besoins réels.
Cette misère contraste violemment avec l’explosion des budgets de défense : 2 700 milliards de dollars dépensés mondialement en 2024, une hausse de 9,4% en un an selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Cette escalade marque la dixième année consécutive d’augmentation et le plus haut niveau depuis la guerre froide.
« Nous vivons dans un nouvel ordre mondial où les mesures de sécurité priment sur le financement climatique », constate Patrick Verkooijen, président du Global Center on Adaptation (GCA), l’organisation qui pilote le Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique (AAAP).
L’équation se complique avec l’endettement massif du continent : 1 800 milliards de dollars de dette cumulée. Résultat dramatique selon l’Institute for Economic Justice : les pays africains consacrent près de trois fois plus d’argent au remboursement de leur dette qu’ils n’en reçoivent pour le climat.
« Depuis la guerre en Ukraine, l’accent a été mis sur les dépenses de défense au détriment du projet climatique », déplore Macky Sall, ancien président sénégalais devenu patron du Centre mondial pour l’adaptation. Pourtant, l’Afrique ne contribue qu’à moins de 10% des émissions carbone mondiales selon l’Organisation météorologique mondiale, tout en subissant de plein fouet sécheresses, inondations et canicules.

Des solutions rentables mais négligées
L’ironie est cruelle : investir dans l’adaptation climatique rapporte gros. Le World Resources Institute(WRI) démontre que chaque dollar investi génère plus de 10 dollars de bénéfices sur dix ans. Un fonds souverain singapourien chiffre même l’opportunité économique mondiale à 4 000 milliards de dollars.
Depuis 2021, l’AAAP a financé avec succès la restauration de mangroves ouest-africaines et le recyclage de déchets organiques à Nairobi. Mais le secteur privé boude : il ne représente que 6% du financement climatique africain contre 35% en Asie.
Florian Krampe du SIPRI propose une piste innovante : intégrer l’environnement dans les budgets militaires. Les technologies de défense, comme l’extraction d’eau atmosphérique développée pour les troupes en zone aride, pourraient bénéficier aux populations civiles.
« À la COP30, les États africains doivent exiger des modèles de financement plus équitables », exhorte Nafi Quarshie du Natural Resource Governance Institute.
Car derrière ces milliards manquants se cachent des millions de vies menacées par un climat qui ne connaît pas les frontières.
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