La junte nigérienne a réitéré mardi 15 août sa volonté d’engager des pourparlers pour résoudre la crise provoquée par le coup d’État du 26 juillet 2023.
« Nous sommes dans un processus de transition. Nous avons expliqué les tenants et les aboutissants, réitéré notre volonté de rester ouverts et de discuter avec toutes les parties, mais nous avons insisté sur la nécessité pour le pays d’être indépendant », a déclaré Ali Mahamane Lamine Zeine, le Premier ministre nommé par les putschistes la semaine dernière.
Il s’est exprimé après avoir rencontré à N’Djaména le Président tchadien Mahamat Deby, qui a tenté une médiation quelques jours après le putsch. Le retour immédiat à l’ordre constitutionnel qu’il a proposé a reçu une fin de non-recevoir par les militaires qui tiennent à diriger pour un temps le Niger et recomposer le jeu d’influence des puissances internationales ayant des intérêts stratégiques dans la région. Le coup d’État du Niger est le septième en Afrique occidentale et centrale en trois ans.
La déclaration d’Ali Mahamane Lamine Zeine intervient un jour après celle du chef de la junte nigérienne, le général Abdourahmane Tiani. Ce dernier a subrepticement insinué une amorce de dialogue avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), après sa rencontre à Niamey avec une délégation composée d’érudits religieux nigérians conduite par le leader de l’organisation islamique Jama’atu Izalatil Bid’ah Wa Iqamatus Sunnah (JIBWIS), le cheikh Abdullahi Bala Lau.
Ali Mahamane Lamine Zeine a expliqué par la suite que le général Tiani a confié au leader du mouvement JIBWIS un message destiné au président nigérian Bola Tinubu, explicitant son intention de dialoguer avec la CEDEAO. Lamine Zeine s’est dit optimiste quant à la tenue de ces pourparlers dans les prochains jours.
« Nous nous sommes mis d’accord et le dirigeant de notre pays a donné le feu vert au dialogue. Ils vont maintenant retourner informer le président nigérian de ce qu’ils ont entendu de nous. Nous espérons que dans les prochains jours, ils (la CEDEAO) viendront ici pour nous rencontrer afin de discuter de la manière dont les sanctions imposées contre nous seront levées », a-t-il déclaré sur les ondes de la radio allemande Deutsche Welle.
Un communiqué signé par le chef religieux Bala Lau, publié le 13 août, indique que le général Tiani lui-même aurait affirmé qu’il en voulait à la CEDEAO à cause de l’émission d’un ultimatum pour un retour à l’ordre constitutionnel sans avoir consulté la junte pour s’enquérir des intentions.
Le dignitaire religieux a mentionné que sa visite avait pour but d’engager un dialogue constructif afin de l’encourager, ainsi que les autres chefs militaires à l’origine du coup d’État, à emprunter la voie de la paix plutôt que celle de la guerre, afin de résoudre la crise.
Le communiqué du cheick Abdullahi Bala Lau rapporte aussi les mots d’excuse du chef de la junte pour la réaction agressive des putschistes envers les dirigeants de l’organisation sous-régionale, pendant les premières heures du renversement du président Mohamed Bazoum.
La déclaration ne précise toutefois pas si le général Tiani s’est également excusé pour sa décision de ne pas rencontrer des délégations de l’Union africaine (UA), de l’ONU, des États-Unis et de deux autres délégations nigérianes dirigées respectivement par l’émir de Kano, Muhammed Sanusi, et l’ancien président nigérian, Abdulsalami Abubakar.
Le chef de la junte aurait aussi confié aux émissaires nigérians les raisons du putsch. Selon lui, le coup d’État était bien intentionné, déclarant qu’il avait pour but d’écarter une menace imminente qui aurait affecté non seulement le Niger mais aussi le Nigeria. La déclaration du cheick Abdullahi Bala Lau n’a cependant pas donné de détails sur cette menace.
« Nous avons un grand intérêt à préserver cette relation importante et historique et à faire en sorte que la CEDEAO travaille d’abord sur des questions purement économiques », a reconnu Ali Mahamane Lamine Zeine.
Amères sanctions
Cependant, les putschistes nigériens plaident pour une levée des sanctions avant l’entame de toute négociation. Ils ont dénoncé le 13 août les « sanctions illégales, inhumaines et humiliantes » imposées par la CEDEAO, selon un communiqué de la junte diffusée à la télévision nationale. La sanction la plus douloureuse pour Niamey est la coupure d’électricité. Cela provoque d’interminables délestages dans les grandes villes.
Les châtiments économiques adoptés lors d’un sommet de la CEDEAO le 30 juillet, comprennent également la suspension des transactions financières et commerciales avec le Niger. Une mesure qui réduit drastiquement les envois de fonds qui sont particulièrement importants pour les ménages pauvres. Ceux-ci dépendent des transferts d’argent effectués par des milliers de migrants vivant dans l’espace CEDEAO. Leurs contributions représentent 4% du PIB nigérien, soit 89 millions de dollars en 2022.
Le gel bancaire et la suspension de l’aide étrangère (en provenance de l’Union européenne et des Etats-Unis) assèchent les ressources disponibles nécessaires au paiement des salaires des fonctionnaires et au maintien de la capacité de l’État nigérien à faire face au défi humanitaire et aux ventes subventionnées d’aliments. Plus de la moitié de la population est concernée.
La suspension des échanges et la fermeture des frontières avec le Nigeria et le Bénin contractent d’ores et déjà l’offre et augmente le prix des produits importés et d’autres denrées alimentaires (en particulier le riz, le maïs et l’huile végétale).
Cela produit un effet d’entraînement sur les prix des céréales produites localement, telles que le millet et le sorgho, car la demande se déplace des denrées importées vers ces céréales. Au cours de la semaine qui a suivi l’annonce des sanctions, le prix moyen national du riz a augmenté de 17 %.
Une dégradation rapide de la situation socio-économique dissipera aussitôt le relatif soutien populaire dont profite la junte pour asseoir son pouvoir. Raison pour laquelle elle s’acharne à diaboliser la CEDEAO à coups de communiqués diffusés à toute heure sur les ondes des médias publics.
Ces sanctions « vont jusqu’à priver le pays de produits pharmaceutiques, de denrées alimentaires et de fourniture en courant électrique », ont déploré les putschistes dans le communiqué lu à la télévision nationale dimanche dernier.
Le premier ministre a également déclaré que les sanctions de la CEDEAO constituent « une injustice » et qu’elles sont contraires aux règles de l’organisation. « Nous pensons que même s’il s’agit d’un défi injuste qui nous a été imposé, nous devrions être en mesure de le surmonter. Et nous le surmonterons », a-t-il déclaré.
Pour imposer un rapport de force vis-à-vis des « légitimistes » qui exige le retour de Mohamed Bazoum au pouvoir, la junte n’hésite pas à durcir le ton. « Le gouvernement nigérien a réuni à ce jour les preuves pour poursuivre devant les instances nationales et internationales compétentes le président déchu et ses complices locaux et étrangers, pour haute trahison et atteinte à la sûreté intérieure et extérieure du Niger », a déclaré le colonel major Amadou Abdramane, un des membres de la junte, dans un communiqué lu à la télévision nationale dimanche.
Cette rude annonce a obligé l’organisation sous-régionale à réagir : « La CEDEAO condamne cette démarche qui constitue une nouvelle forme de provocation et contredit la volonté prêtée aux autorités militaires de la République du Niger de rétablir l’ordre constitutionnel par des moyens pacifiques. », a répliqué l’organisation sous-régionale. Elle a réitéré par la même occasion son appel pour une libération immédiate de Mohamed Bazoum et son rétablissement dans ses fonctions. Les positions semblent figées pour de longues semaines.
Carrefour-Soleil
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