CEDEAO : un plan d’urgence face à la fracture sahélienne

La CEDEAO entend accélérer l'activation de sa Force en attente (ESF) dans sa "forme cinétique" pour lutter contre le terrorisme.
Tous les pays de la CEDEAO subissent déjà les contrecoups de l'insécurité au Sahel.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a dévoilé un plan d’urgence visant à atténuer les répercussions du retrait du Burkina Faso, du Mali et du Niger, dans un contexte sécuritaire régional de plus en plus préoccupant.

Lors d’une réunion du Comité des chefs d’état-major de la CEDEAO à Abuja, le commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité, Abdel-Fatau Musah, a souligné la nécessité d’une « analyse critique du dispositif de sécurité en Afrique de l’Ouest et au Sahel » suite au départ officiel des trois nations le 29 janvier dernier.

Le Sahel central demeure l’épicentre d’une insécurité qui se propage désormais aux États côtiers. Selon M. Musah, citant l’Indice mondial du terrorisme, la région concentrait en 2024 plus de la moitié des décès liés au terrorisme à l’échelle mondiale. Cette situation alarmante s’explique par une combinaison de facteurs : gouvernance défaillante, tensions interethniques et dégradation environnementale, le tout exacerbé par l’activité de groupes djihadistes transnationaux et les rivalités géopolitiques.

« L’Alliance des États du Sahel est en train de changer d’alliance en supprimant l’implication de l’Occident dans les secteurs de la sécurité et de l’économie et en se retirant de la CEDEAO », a déclaré le commissaire, pointant un bouleversement stratégique majeur dans la région.

Un dispositif en attente contre le terrorisme

Face à cette situation critique, la CEDEAO entend accélérer l’activation de sa Force en attente (ESF) dans sa « forme cinétique » pour lutter contre le terrorisme. Cette initiative s’inscrit dans une volonté affichée de renforcer les « aspirations communes à une région pacifique, sécurisée et prospère ».

Le bloc régional peut néanmoins se féliciter de « pas de géant réalisés » dans l’opérationnalisation du dépôt logistique régional à Lungi, en Sierra Leone, un élément clé de son architecture de sécurité collective.

La réunion, convoquée pour évaluer les progrès accomplis depuis août 2024, a également permis d’examiner les développements récents et la situation sécuritaire globale. Celle-ci reste dominée par les activités des groupes armés terroristes, la criminalité transnationale organisée et le banditisme.

Cette initiative de la CEDEAO intervient alors que le Sahel connaît une reconfiguration géopolitique majeure. L’Alliance des États du Sahel (AES), formée par les trois pays désormais ex-membres de l’organisation ouest-africaine, marque une rupture avec les partenariats occidentaux traditionnels et privilégie de nouvelles alliances, notamment avec la Russie.

Pour les analystes, ce plan d’urgence de la CEDEAO constitue une tentative d’adaptation à une nouvelle réalité géopolitique où son influence est directement contestée. La capacité de l’organisation à maintenir la stabilité régionale sans ces trois acteurs clés du Sahel représente un défi considérable, d’autant que les États côtiers comme le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire subissent déjà les contrecoups de l’insécurité sahélienne.

L’avenir dira si cette stratégie parviendra à endiguer la menace terroriste et à préserver la cohésion d’une organisation régionale fragilisée par cette fracture historique.

Laisser « les portes ouvertes«  malgré tout

En dépit des tentatives de conciliation de la CEDEAO, le Mali, le Niger et le Burkina Faso franchissent un nouveau cap dans leur rupture avec l’organisation régionale. Les trois États de l’AES lancent désormais leurs propres documents de voyage, marquant symboliquement leur distanciation.

La CEDEAO avait pourtant laissé « les portes ouvertes » pour que ces nations continuent à bénéficier des mêmes avantages que les autres membres. Le bloc avait également assuré que les échanges commerciaux se poursuivraient normalement. Une déclaration qui reflète davantage un souhait qu’une réalité à mesure que la rupture s’accentue.

Un élément reste cependant crucial : les trois pays demeurent membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ce qui devrait théoriquement garantir la poursuite du commerce et la libre circulation des marchandises entre les huit pays membres – incluant également le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Togo et le Bénin.

Charlie Robertson, économiste en chef chez Renaissance Capital, anticipe un impact économique significatif : « Il est probable qu’il y ait moins d’investissements dans ces trois pays, qui comptent déjà parmi les plus pauvres de la région. » Une perspective qui assombrit davantage l’avenir de populations déjà durement éprouvées par l’insécurité et la pauvreté.

Les implications de cette fracture inquiètent les observateurs régionaux. Une CEDEAO affaiblie pourrait se révéler incapable de gérer l’expansion des crises sécuritaires qui débordent désormais du Sahel vers les pays côtiers. Sa capacité d’intervention pour contrer les prises de pouvoir militaires semble également compromise.

Ce divorce géopolitique redessine profondément la carte des influences en Afrique de l’Ouest, avec des répercussions qui dépassent largement les frontières des pays concernés.

Carrefour-Soleil

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