
Michael Kratsios, conseiller scientifique à la Maison-Blanche, défend la réduction drastique des financements fédéraux comme un « moment de clarté » nécessaire pour la recherche. Face à une communauté scientifique inquiète, il prône un nouveau modèle où les universités dépendraient moins des fonds publics.
Face à une petite assemblée réunie dans l’enceinte prestigieuse de l’Académie nationale des sciences (NAS) ce lundi 19 mai, Michael Kratsios n’a pas fait dans la demi-mesure. L’ancien cadre du secteur technologique, aujourd’hui directeur du Bureau de la politique scientifique et technologique (OSTP) de la Maison-Blanche, a défendu sans détour la politique scientifique controversée de l’administration Trump : couper les vivres pour mieux restructurer.
« Dépenser plus d’argent pour les mauvaises choses est bien pire que de dépenser moins d’argent pour les bonnes choses », a-t-il déclaré devant un public composé principalement de personnel de la NAS, de représentants universitaires et de hauts responsables de la National Science Foundation. Selon lui, ces réductions budgétaires massives, orchestrées par l’équipe d’Elon Musk au Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), devraient apporter « un moment de clarté » à une communauté scientifique qu’il juge trop dépendante des fonds fédéraux.
Le conseiller du président ne s’est pas arrêté là. Il a porté une accusation sévère contre l’écosystème scientifique américain, affirmant que « les préjugés politiques ont supplanté la recherche vitale de la vérité » et que les universités ont « perdu la confiance du public » en s’engageant dans des Initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI). Un discours qui fait écho aux positions conservatrices actuelles contre ce qu’ils considèrent comme une politisation excessive du monde académique.
Pour étayer son propos, Michael Kratsios a cité deux exemples qu’il considère comme symptomatiques d’une culture professionnelle défaillante : d’une part, les allégations de mauvaise conduite dans le laboratoire du neuroscientifique Marc Tessier-Lavigne, dont un article controversé n’a été rétracté que 14 ans après sa publication ; d’autre part, les politiques d’isolement pendant la pandémie de COVID-19, qu’il estime médicalement injustifiées mais peu contestées par la communauté scientifique.

Plafonnement des « coûts indirects »
Cette vision marque une rupture nette avec les politiques scientifiques des décennies précédentes. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont constamment augmenté leurs investissements fédéraux en recherche et développement, une approche initiée par Vannevar Bush dans son rapport historique « Science, The Endless Frontier » (1945), qui posait les bases du financement scientifique moderne américain. Les administrations successives, républicaines comme démocrates, ont globalement maintenu cette trajectoire, même si des fluctuations ont existé selon les priorités politiques.
L’un des points les plus controversés du discours concerne le plafonnement des « coûts indirects ». Il s’agit des frais généraux remboursés aux universités pour soutenir l’infrastructure de recherche (maintenance des bâtiments, électricité, administration). Ces remboursements, qui peuvent représenter jusqu’à 50% du montant des subventions directes dans certaines institutions, sont qualifiés par Michael Kratsios de largesses injustifiées. « Si vous pensez que le seul moyen de financer un nouveau bâtiment est de recourir aux coûts indirects, vous manquez de perspicacité », a-t-il lancé, exhortant les universités à se tourner vers des financements privés.
La présidente de la NAS, Marcia McNutt, n’a pas manqué de soulever la question qui préoccupe de nombreux chercheurs : ces coupes budgétaires ne risquent-elles pas de provoquer une fuite des cerveaux ? Kratsios a balayé ces inquiétudes, les qualifiant d’« irrationnelles », et affirmant que les États-Unis restent « de loin » le meilleur endroit pour faire de la science de pointe. Une réponse qui n’a pas convaincu McNutt, qui a souligné que « l’incertitude persistante pourrait devenir une prophétie auto-réalisatrice. »
Ce discours s’inscrit dans une vision plus large de l’administration Trump pour la science américaine, après un premier mandat où Kelvin Droegemeier, prédécesseur de Kratsios, avait déjà tenté – sans succès notable – d’alléger les contraintes administratives pesant sur les chercheurs. Michael Kratsios a d’ailleurs repris cette promesse de réduction de la « paperasserie », sans toutefois détailler comment il comptait y parvenir.
Pour les observateurs de la politique scientifique, ce positionnement reflète une tendance plus profonde : la remise en question du modèle de financement scientifique établi depuis l’après-guerre. Si certains économistes soutiennent qu’une réévaluation des priorités pourrait effectivement conduire à plus d’efficacité, de nombreux scientifiques craignent que ces coupes ne compromettent la position dominante des États-Unis dans la recherche mondiale, particulièrement face à la montée en puissance de la Chine, qui augmente continuellement ses investissements en R&D.
L’avenir dira si cette approche « moins mais mieux » portera ses fruits, ou si elle marquera le début d’un déclin de l’influence scientifique américaine sur la scène internationale.
Carrefour-Soleil
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