
L’entreprise américaine Colossal Biosciences fait sensation en affirmant avoir ressuscité une espèce de canidés disparue depuis plus de dix mille ans. Mais la communauté scientifique dénonce une supercherie.
L’entreprise biotechnologique Colossal Biosciences a déclaré ce 7 avril qu’elle avait « ressuscité » le loup sinistre ou Canis dirus, un prédateur qui a disparu il y a environ 10 000 ans. Avec une mise en scène digne d’Hollywood – incluant même une collaboration avec George R.R. Martin, créateur de Game of Thrones – l’entreprise a présenté Romulus, Remus et Khaleesi, trois louveteaux à la fourrure blanche comme neige, censés incarner le retour d’une espèce disparue.
« Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, Colossal Biosciences a réussi à restaurer une espèce éradiquée par la science de la dé-extinction », proclamait fièrement l’entreprise valorisée à 10 milliards de dollars sur son site web. Une affirmation qui a immédiatement déclenché l’indignation de la communauté scientifique mondiale.
Ces animaux ne sont en réalité que des loups gris dont le génome a été modifié avec seulement 20 éditions génétiques ciblées, sur les milliers de différences qui distinguent le loup gris du loup sinistre. La modification génétique, technique permettant d’altérer l’ADN d’un organisme, a été utilisée ici principalement pour reproduire des caractéristiques physiques visibles comme la couleur et la texture du pelage.
Pontus Skoglund, généticien au Francis Crick Institute, a mis les choses en perspective avec cette comparaison frappante : « Un chimpanzé avec 20 modifications génétiques serait-il humain ? », avant d’ajouter que les louveteaux « semblent optimistiquement être 1/100 000ème loups sinistres. »
Des contradictions scientifiques troublantes
La controverse s’étend au-delà de la technique. Des recherches publiées en 2021 dans la prestigieuse revue Nature suggéraient que le loup sinistre n’était peut-être même pas un véritable loup, mais appartenait plutôt à une lignée nord-américaine de canidés qui s’est séparée des ancêtres des loups gris il y a plus de 5 millions d’années, ressemblant davantage à « un coyote géant rougeâtre. »
Or, Beth Shapiro, responsable scientifique de Colossal Biosciences et co-auteure de cette même étude, affirme désormais que de nouvelles analyses d’ADN ancien montrent que les loups sinistres portaient des gènes pour une robe claire et qu’ils partagent 99,5% de leur ADN avec les loups gris. Des conclusions qui n’ont été publiées dans aucune revue scientifique à ce jour.
Au-delà des questions scientifiques, de nombreux chercheurs s’interrogent sur la pertinence écologique de cette prétendue résurrection. Les habitats où vivaient ces prédateurs et bon nombre des animaux dont ils se nourrissaient n’existent plus.
D’autres experts, comme le généticien Nic Rawlence de l’université d’Otago, estiment que ces efforts détournent l’attention et les ressources des espèces actuellement menacées : « Si cela dépendait de moi, des entreprises comme Colossal développeraient une technologie de dé-extinction mais l’utiliseraient pour conserver ce qui nous reste. »
Cette histoire met en lumière les tensions croissantes entre les avancées biotechnologiques, les ambitions commerciales et les préoccupations éthiques de la communauté scientifique. Elle soulève également des questions fondamentales sur notre rapport à la nature et notre responsabilité face à l’extinction des espèces : celles du passé comme celles dont l’avenir est menacé aujourd’hui.
Carrefour-Soleil
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