
En décodant le « langage des lipides » dans les cellules cancéreuses, des chercheurs genevois offrent un nouvel espoir pour des thérapies sur mesure contre le cancer colorectal.
Chaque année, près de 2 millions de personnes sont diagnostiquées avec un cancer du côlon dans le monde, faisant de cette maladie la deuxième cause de mortalité liée au cancer. Le traitement standard, une combinaison de médicaments de chimiothérapie appelée FOLFOXIRI, se heurte souvent à un obstacle majeur : les cellules cancéreuses deviennent progressivement insensibles au traitement, un phénomène que les médecins appellent « résistance ». Mais une équipe de chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) vient de faire une découverte qui pourrait changer la donne dans la lutte contre cette maladie.
L’équipe dirigée par la professeure Patrycja Nowak-Sliwinska de la Section des sciences pharmaceutiques de la faculté des sciences de l’UNIGE a identifié des modifications spécifiques dans la composition des graisses (lipides) des cellules cancéreuses devenues résistantes au traitement. Ces « signatures lipidiques » pourraient servir d’indicateurs pour prédire si un traitement sera efficace ou non chez un patient donné, mais aussi ouvrir la voie à de nouvelles approches thérapeutiques ciblées et adaptées à chaque personne.
« L’identification des types de lipides modifiés pourra servir de marqueur pour prédire la résistance à la chimiothérapie », explique le Dr. George M. Ramzy, premier auteur de l’étude publiée dans la revue scientifique International Journal of Molecular Sciences. « En outre, comprendre ces changements peut nous aider à développer de nouvelles stratégies de traitements pour surmonter cette résistance », pense-t-il.
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont travaillé sur quatre lignées de cellules cancéreuses provenant de quatre patients différents, chacune ayant ses propres caractéristiques génétiques. En laboratoire, ils ont exposé une partie de ces cellules au traitement FOLFOXIRI pendant 60 semaines, le temps nécessaire pour qu’elles développent une résistance similaire à celle observée chez les patients. Une autre partie des cellules n’a reçu aucun traitement, servant ainsi de groupe de comparaison.
L’analyse comparative des profils lipidiques (l’ensemble des graisses présentes dans une cellule, aussi appelé « lipidome ») a été réalisée grâce à des techniques avancées. La chromatographie liquide est une méthode qui permet de séparer les différentes substances présentes dans un échantillon. Cette technique, combinée à la spectrométrie de masse à haute résolution (qui permet d’identifier précisément ces substances selon leur poids moléculaire), a permis aux chercheurs de distinguer les différents types de lipides.
Pour analyser cette grande quantité de données complexes, l’équipe a développé un algorithme spécifique permettant de repérer les différences entre les profils lipidiques des cellules sensibles et celles devenues résistantes au traitement.

Variations significatives entre les patients
Les résultats de cette étude révèlent des variations significatives entre les patients. Dans une première lignée cellulaire, la résistance au traitement était associée à une augmentation des triglycérides (un type de graisse servant au stockage d’énergie) et des esters de cholestérol (une forme de stockage du cholestérol dans les cellules). Dans les trois autres lignées, la résistance était plutôt liée à une augmentation des phospholipides, ces graisses qui constituent principalement les membranes des cellules.
« Ces différences s’expliquent par les profils génétiques distincts de chaque individu. Chaque patient est différent. C’est ce qui explique pourquoi les traitements ne fonctionnent pas de la même façon chez tout le monde », souligne George M. Ramzy, illustrant l’importance d’une approche personnalisée dans le traitement du cancer.
Si ces résultats sont prometteurs, ils ne sont pas encore directement applicables en milieu hospitalier. Avant cette étape, les chercheurs devront vérifier leurs découvertes sur des échantillons de tumeurs fraîchement prélevées chez des patients, et non plus seulement sur des lignées cellulaires cultivées en laboratoire.
Cette avancée s’inscrit dans une série de travaux menés par l’équipe de Patrycja Nowak-Sliwinska, qui avait déjà mis au point une combinaison de médicaments potentiellement capable de contourner la résistance au traitement en 2022, ainsi que des tumeurs artificielles pour tester l’efficacité des traitements en 2023.Face à l’augmentation prévue des cas de cancer du côlon, qui pourrait dépasser les 3 millions d’ici 2040 avec 1,6 million de décès annuels, ces résultats offrent un espoir concret d’améliorer les stratégies thérapeutiques et, à terme, de sauver davantage de vies en adaptant les traitements à chaque patient.
Carrefour-Soleil
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