L’examen de la situation politique critique du Tchad par le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) débouche enfin sur une décision dont les dispositifs détonnent par leur ambigüité.
Un mois après la prise de pouvoir le 20 avril par un Conseil militaire de transition (CMT) de quinze généraux, présidé par un des fils du défunt président Idriss Déby Itno, l’UA, à travers son organe politique, a appelé jeudi 20 mai à une transition de 18 mois, débouchant sur des élections « libres, justes et crédibles. »
Dans sa décision, le CPS a « souligné l’impératif d’un processus de transition inclusif et consensuel au Tchad, dirigé par des civils, avec une séparation claire des rôles et des fonctions entre le gouvernement de transition et le Conseil militaire de transition (CMT). »
L’organe panafricain a également insisté sur « la nécessité absolue d’une transition vers un régime démocratique à réaliser dans les 18 mois », ajoutant qu’il « rejette catégoriquement toute forme de prolongation de la période de transition. »
Le CPS a mis l’accent sur le respect de ce délai « en affirmant catégoriquement qu’aucune forme d’extension de la période de transition prolongeant la restauration de l’ordre constitutionnel ne saurait être acceptable pour l’UA. »
Il a également exhorté le président intérimaire Mahamat Idriss Déby et les autres membres de la junte à respecter leur engagement de ne pas participer aux prochaines élections.
Un paragraphe du communiqué précise que les institutions devant prendre en charge le fonctionnement de l’État dans cette phase délicate devrait se faire sous le contrôle d’un « Conseil national de transition (CNT) […] avec un mandat clair et précis pour, entre autres, rédiger une nouvelle Constitution. »
Le communiqué du CPS mentionne aussi la requête de l’organisation continentale pour la tenue « d’un dialogue national inclusif et transparent et d’une réconciliation nationale […] sous les auspices du Premier ministre, dans les trois prochains mois. » Le document conclut en réitérant son attachement à « la promotion, la protection et la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de tous les Tchadiens […] en particulier la liberté d’expression et de réunion pacifique. »
Manque de fermeté et pas de sanction
Les termes du communiqué – un prêchi-prêcha plein de contradictions – prouvent que l’UA a, sur le cas tchadien, du mal à appliquer son principe consistant à suspendre automatiquement et sanctionner les acteurs d’un coup d’État ou d’un changement anticonstitutionnel de gouvernement. Ce fut le cas vis-à-vis des putschistes maliens qui ont renversé le président Boubacar Keita en août 2020.
Les considérations sécuritaires mises en avant par certains pays voisins, confrontés aux attaques terroristes (Nigeria, Niger), et le « club des autoritaires » proches de la famille Déby Itno dont Denis Sassou Nguesso du Congo et Paul Biya du Cameroun, ont permis aux membres de la junte d’éviter la mise au ban. Mais l’institution panafricaine a, une fois de plus, manqué l’opportunité de consolider sa crédibilité et de confirmer son rôle d’actrice majeure de résolution de crises politiques au sein des pays membres.
Sa réputation, déjà mal en point, a pris un coup supplémentaire venant du Nord. Le Parlement européen a décidé le même jour d’adopter une résolution condamnant la prise du pouvoir par la junte et la suspension de la Constitution. L’institution européenne demande « au Conseil militaire de transition d’assurer un retour sans entrave et rapide à l’ordre constitutionnel et de veiller au respect des valeurs démocratiques. »
La résolution a été votée par 635 voix sur 693. « Nous serons vigilants à ce que la diplomatie européenne s’emploie à convaincre ses partenaires tchadiens d’honorer leurs droits démocratiques », a averti l’eurodéputé écologiste français Mounir Satouri.
Il est clair que, sans pressions extérieures, cette junte n’aura aucun intérêt à s’effacer et favoriser l’émergence d’un pouvoir civil et démocratique. Profitant des tergiversations panafricaines, elle plante activement le décor de sa pérennisation en s’entourant de fidèles serviteurs du président Idriss Déby Itno, tué lors d’un affrontement contre les rebelles du FACT, le 19 avril dernier.
Frank Kodbaye
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