Tiède réaction de l’Union africaine sur le chaudron politique tchadien

L’Union africaine (UA) a appelé le 23 avril au rétablissement d’un régime civil au Tchad, où le général Mahamat Idriss Déby, entouré par des officiers fidèles à son clan, a pris le pouvoir après l’annonce de la mort de son père, Idriss Déby Itno.

Dans une déclaration, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, entité chargée des questions de paix et de sécurité au sein de l’organisation continentale, a exprimé sa « grave préoccupation » concernant la mise en place d’un Conseil militaire de transition (CMT) dirigé par le fils du défunt président. Mais elle a finalement décidé de ne pas appliquer de mesures de sanctions prévues pour les cas de changements anticonstitutionnels de gouvernement.

Pourtant l’article 7(g) du Protocole consacré aux pouvoirs du CPS, la Charte africaine de la démocratie, des élections, de la gouvernance et la Déclaration de Lomé sont limpides : chaque changement anticonstitutionnel de gouvernement dans un État membre entraîne l’imposition de sanctions.

Dans cette logique, le CPS n’a pas hésité à suspendre l’année dernière le Mali de l’organisation « jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel ». La décision était tombée vingt-quatre heures après le coup d’État perpétré par une junte dirigée par le colonel Assimi Goïta. Cette mesure coercitive fut adossée à un embargo commercial et financier imposé par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Rien de tel pour le cas tchadien. Le CPS a attendu la fin des funérailles du maréchal Idriss Deby Itno pour publier un communiqué (samedi 24 avril) sur la situation au Tchad. Sous la présidence de l’ambassadeur djiboutien Mohammed Idriss Farah, le CPS a décidé de ne pas déclencher le mécanisme de sanctions.

Le CPS lui suggère simplement l’organisation d’un « dialogue national inclusif » et recommande à la Commission de l’UA l’envoi d’une mission d’enquête dans le pays. Sans la pression des sanctions, rien ne bougera à N’Djaména. Tout le monde le sait à Addis Abeba, au siège de l’organisation panafricaine.

La junte s’impose donc comme seul interlocuteur face à la communauté internationale en mettant sur la touche le président de l’Assemblée nationale qui devrait, selon la Constitution, diriger provisoirement le pays pendant 45 à 90 jours, avant la tenue de nouvelles élections. Le CMT a pris le soin de suspendre la loi fondamentale, de dissoudre le Parlement et toutes les institutions publiques. Elle a juste maintenu les membres du gouvernement en place pour expédier les affaires courantes.

Le général Mahamat Idriss Deby exerce désormais les pleins pouvoirs, en tant que président de la République du Tchad, selon une Charte de la transition rédigée à la va-vite et publiée dès le 21 avril sur le site de la présidence.

Sa seule concession connue est une vague promesse d’organisation d’élections « libres et démocratiques » après une période de transition de 18 mois qui peut être prolongée une fois.

Félix Tshisekedi et Emmanuel Macron, présents aux funérailles d’Idriss Déby Itno, affichent une position ambigüe sur la transition militaire au Tchad. Photo: DR

 

“Accompagner” le CMT et s’aligner sur la position française

Le Congolais (RDC) Félix Tshisekedi, président en exercice de l’UA, présent à N’Djaména le 23 avril, a plutôt fait une déclaration favorable à la junte, promettant “l’accompagnement”de l’UA au CMT. Il a superbement ignoré l’appel de la société civile tchadienne à prendre ses responsabilités pour encourager et accompagner une transition civile et une ouverture du champ politique. Le président de la Commission de l’UA, ancien premier ministre tchadien et proche parmi les proches du défunt président, se murent dans le silence.

Les dirigeants d’Afrique centrale, moins enclins à exiger le respect des règles démocratiques que leurs collègues de la CEDEAO, n’ont montré aucun intérêt à intervenir dans le chaos tchadien et aider à une transition civile. Faustin-Archange Touadéra, le président centrafricain, lui-même secoué par une longue et éreintante guerre civile dans son pays, fut le seul chef d’État d’Afrique centrale à faire le déplacement de N’Djaména pour les funérailles d’Idriss Deby Itno.

En effet, les dirigeants du « ventre mou » de l’Afrique, fieffés recordmen des mandats présidentiels comme leur défunt confrère, s’alignent plutôt sur la position du président français, Emmanuel Macron. S’affichant aux côtés du général Mahamat Idriss Deby lors des funérailles, il a déclaré que « La France ne laissera jamais personne, ni aujourd’hui ni demain, remettre en cause la stabilité et l’intégrité du Tchad. » Cet engagement reflète la vision stratégique étriquée et dangereuse de la France dans cette partie de l’Afrique: la lutte contre le djihadisme avec une armée tchadienne en fer de lance de l’opération Barkhane. Le reste des enjeux sont négligemment écartés.

Ce franc soutien à la prépondérance de l’armée et de la famille Deby Itno sur la vie politique au Tchad irrite la majorité des leaders politiques tchadiens et la société civile. Ces derniers essayent d’obtenir, tant que c’est encore possible, une transition civile et d’éviter de laisser le champ politique se détériorer à cause d’une confrontation directe et prolongée entre la junte et la rébellion armée. Selon certains observateurs, celle-ci est en mesure d’atteindre la capitale en quelques jours, profitant des dissensions actuelles au sein de l’armée tchadienne.

Le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), le groupe rebelle, responsable de l’offensive contre le régime tchadien à partir du sud libyen depuis le 11 avril, a rejeté toute transition dirigée par des militaires. Il se dit prêt à reprendre sa progression vers la capitale en cas de maintien du CMT à la tête de l’État. « Nous avons établi des contacts avec la junte actuelle, pour éviter d’arriver à une situation de guerre ouverte. Si la junte militaire ne reçoit pas cette main tendue, nous serons obligés, dans les jours et les semaines à venir, de marcher sur Ndjamena », a averti Gassim Cherif, un des porte-parole de la coalition des factions militaires en activité dans le Nord du pays sur les ondes de Radio France internationale (RFI).

Doute sur la tenue d’un dialogue national

Toutefois, Le FACT se déclare favorable à un cessez-le-feu et à un règlement politique, à condition qu’il y ait une place pour « un dialogue national qui doit inclure toutes les composantes politiques de la vie tchadienne », a admis Mahamat Mahadi Ali, le leader du FACT.

Le CMT a aussitôt rejeté cette offre de dialogue. « L’heure n’est pas à la médiation, ni à la négociation avec des hors-la-loi », a déclaré dimanche le général Azem Bermandoa Agouna, porte-parole de la junte.

Une coalition nommée Wakit Tama réunissant les principales organisations de la société civile et des partis d’opposition a appelé à une manifestation, exigeant la dissolution du CMT. Plusieurs centaines manifestants ont répondu à cet appel mardi 27 avril. Ils ont pris d’assaut les rues de plusieurs quartiers de la capitale et de la ville de Moundou, située à plus de 500 km au Sud de N’Djaména. Des Banderoles et des pancartes y ont été brandies avec des messages à l’attention de la junte militaire au pouvoir et de la France qu’ils accusent de légitimer un coup d’État militaire. Au moins cinq personnes sont mortes lors de ces manifestations.

« Nous appelons la population tchadienne de tout le pays à descendre dans la rue mardi pour une manifestation publique, et nous resterons dans la rue si nous ne sommes pas écoutés », a annoncé Max Loalngar, président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH).

Le semblant de calme qui régnait à N’Djaména au moment des funérailles du maréchal Idriss Deby Itno n’est plus d’actualité. La bataille de communication entre les soutiens de la junte et les dirigeants de l’opposition, des syndicats et d’autres organisations de la société civile bat son plein.

Mohamed Bazoum, le nouveau président du Niger et Mohamed Ould Ghazouani, le chef de l’État mauritanien, ont été mandatés par leurs collègues du G5-Sahel pour mener des consultations auprès des acteurs politiques sur le modèle de transition souhaité. C’est une première tentative de médiation. Vu la configuration des forces en présence et le climat de guerre civile qui pèse sur le Tchad, il faudra organiser une intense série de pourparlers proactifs pour espérer sortir rapidement du bourbier. Pour ce faire, l’implication effective des chefs d’État d’Afrique centrale, de l’UA et de l’ONU serait d’une grande utilité.

Frank Kodbaye

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