
Skype, autrefois synonyme d’appels gratuits sur Internet, disparaît. Retour sur l’ascension fulgurante et la lente agonie d’une application révolutionnaire, victime de la stratégie « Not Invented Here » de Microsoft.
Vous l’avez peut-être oublié, mais Skype existe encore. Plus pour longtemps. Cette application révolutionnaire qui a démocratisé les appels audiovisuels gratuits sur internet va bientôt tirer sa révérence, quatorze ans après son acquisition par Microsoft pour la somme astronomique de 8,5 milliards de dollars. Une acquisition qui s’est transformée en l’un des cas d’école les plus flagrants de gestion désastreuse d’un actif technologique précieux.
En 2006, eBay avait déjà flairé le potentiel de Skype en déboursant 2,6 milliards de dollars pour s’offrir cette plateforme créée par des ingénieurs scandinaves. Si l’association entre un site d’enchères et un service d’appels pouvait sembler incongrue, la stratégie financière s’est avérée brillante : après cinq ans, eBay a revendu Skype en réalisant « un énorme bénéfice », selon les termes mêmes de l’article.
Microsoft, en quête de présence dans le domaine des communications unifiées, a alors mis la main au portefeuille. Mais ce qui aurait dû être un coup de maître s’est progressivement transformé en fiasco.
Comment expliquer qu’une entreprise de la taille et de l’expérience de Microsoft ait pu échouer aussi spectaculairement avec un actif aussi prometteur ? L’explication réside peut-être dans ce que les initiés appellent le syndrome du « Not Invented Here » (pas inventé ici) qui sévit parfois chez le géant de Redmond.
Pourtant, cette entreprise a bâti son empire sur l’acquisition de DOS, le système d’exploitation acheté par Bill Gates à une start-up nommée Seattle Computer Products pour environ 50 000 dollars en 1981. Elle s’est ensuite largement inspirée d’Apple pour créer Windows. L’aversion pour les technologies développées en externe peut sembler paradoxale.

L’âge d’or avant la chute
Pendant plusieurs années après son rachat, Skype a pourtant continué à prospérer. Les podcasters l’utilisaient pour enregistrer leurs émissions, privilégiant sa qualité audio. Les joueurs (gamers) s’en servaient pour communiquer pendant leurs parties. L’application était devenue un standard de facto pour les communications internet.
En 2016, Microsoft comptait environ 300 millions d’utilisateurs mensuels de Skype, mais ce chiffre a chuté à 36 millions d’ici 2023. Le service d’appel vidéo a du mal à rivaliser avec d’autres services similaires, notamment Teams de Microsoft, Google Meet, WhatsApp et Zoom.
Cinq ans après l’acquisition de Skype, Microsoft lance Teams. Officiellement, il ne s’agissait pas d’un remplacement de son bijou technologique. Officieusement, c’était bien le début de la fin.
Le lancement de Teams a eu un effet pervers immédiat : en positionnant sa nouvelle plateforme comme un service premium destiné aux entreprises prêtes à payer pour un outil de communication fiable, Microsoft sous-entendait que Skype n’était pas à la hauteur.
La réputation de Skype, déjà entachée par des problèmes de fiabilité, s’est ainsi trouvée sabotée par son propre propriétaire. Les mises à jour sont devenues rares, l’attention s’est portée ailleurs et le service est tombé dans une lente agonie.
Lorsque la pandémie de COVID-19 a éclaté, créant un besoin sans précédent pour les outils de vidéoconférence, Microsoft disposait de deux plateformes : Skype, encore connue du grand public, et Teams, bien implanté dans les universités et les entreprises.
C’est pourtant Zoom, un outsider relativement nouveau, qui a saisi l’opportunité. L’hésitation stratégique entre deux plateformes a coûté à Microsoft une occasion en or de dominer ce marché.
La direction de Microsoft a récemment annoncé clairement son désir d’intégrer les meilleures fonctionnalités de Skype à Teams, au fur et à mesure de son évolution. Une manière élégante d’enterrer un service qui a pourtant été le pionnier des appels audio et vidéo sur le web pour de très nombreux utilisateurs.
L’histoire de Skype sous Microsoft illustre une vérité cruelle du monde technologique : il ne suffit pas d’acquérir l’innovation, encore faut-il savoir la cultiver. En tentant de réinventer la roue avec Teams au lieu de développer pleinement le potentiel de Skype, Microsoft a non seulement gaspillé 8,5 milliards de dollars, mais a aussi laissé s’échapper la domination d’un marché qu’elle avait à portée de main.
Microsoft aurait dû utiliser Skype ou le supprimer et s’en tenir à Teams dès 2016. Cette indécision stratégique restera comme l’un des plus coûteux faux pas de l’ère numérique.
Carrefour-Soleil
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