Les Congolais ont patienté dix jours avant d’apprendre au milieu de la nuit du 9 au 10 janvier le nom de leur futur président. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé la victoire provisoire de Félix Tshisekedi qui a recueilli 38% des voix des 40 millions d’électeurs.
Le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi devance Martin Fayulu (34,8%) et le dauphin désigné du président sortant, Emmanuel Ramazani Shadary (23,8%).
L’élection d’un candidat de l’opposition est un événement historique en RDC. Ce pays n’a jamais connu une transition démocratique depuis son indépendance en 1960. Cette élection sonne le départ de Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001, suite à l’assassinat de son père et prédécesseur Laurent Désiré Kabila
L’actuel président a tout fait pour prolonger son règne au-delà de la limite fixée par la Constitution. Le scrutin a été reporté trois fois depuis fin 2016.
Annonce tardive
La CENI a attendu 3 heures du matin pour proclamer les résultats. Martin Fayulu, le favori des sondages, a immédiatement réagi en qualifiant la publication de la CENI de « putsch électoral ». «Ces résultats n’ont rien à voir avec la vérité des urnes», a-t-il déclaré, avant d’inviter tous les observateurs de cette élection mouvementée à « dire la vérité ».
Cet appel s’adresse évidemment au réseau d’observateurs de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). Cette organisation catholique a déployé plus de 40.000 personnes sur toute l’étendue du territoire pour superviser le scrutin et collecter toutes les données disponibles. L’Église catholique a ainsi prouvé qu’elle a les moyens de contrôler toutes les informations en lien avec le scrutin. Un avantage dont elle a fait usage pour mettre la pression sur la CENI qui tergiversait.
L’entourage de Martin Fayulu a déjà exprimé son intention d’introduire un recours auprès de la Cour constitutionnelle. Cette institution a 14 jours pour examiner le litige et valider ou non le scrutin. Les plaignants comptent invoquer de nombreuses irrégularités signalées par certains observateurs. Aussi, 1,6 million d’électeurs n’avaient pas pu voter dans deux régions du pays.
Manifestations pro-Fayulu
En attendant, la tension est à son comble dans la capitale Kinshasa et dans l’ensemble de cet immense pays de plus de deux millions de km2 et peuplé de plus de 80 millions d’âmes. Des policiers antiémeutes armés de canons à eau et des véhicules blindés sont visibles devant les immeubles publics.
Certains partisans de l’opposant Martin Fayulu ont déjà pris d’assaut des rues de plusieurs localités. La ville de Kisangani (nord-est) a été le théâtre d’une violente manifestation tôt ce matin (10 janvier). La maison du représentant local de la CENI fut la cible d’un groupe de manifestants. Ils y ont mis le feu.
Des communiqués pullulent. Ils appelent les citoyens à se préparer à « descendre massivement dans la rue », car les résultats ne correspondent pas à « la vérité des urnes ». Les rumeurs relatives à un arrangement entre le vainqueur et le régime Kabila circulent sur les réseaux sociaux. Elles instillent que le président sortant a obtenu des garanties pour sa sécurité et celle de ses proches contre une victoire du leader de l’Union pour la démocratie et le progrès (UDPS).
Ce dernier a déclaré il y a quelques jours au quotidien belge « Le Soir » que Kabila pourra vivre tranquillement dans son pays. «Un jour nous devrons même songer à lui rendre hommage pour avoir accepté de se retirer», a-t-il observé. Cette déclaration nourrit la suspicion des partisans de Martin Fayulu.
Felix Tshisekedi, 55 ans, dirige l’UDPS, parti fondé par son père en 1982. Ces deux dernières années, ce parti s’était appliqué à négocier la tenue des élections en adoptant une ligne dure contre le régime de Joseph Kabila. Le pouvoir et l’opposition avaient finalement conclu les accords de la Saint Sylvestre le 31 décembre 2016 en vue d’une élection présidentielle sans la candidature du président sortant.
Félix Tshisekedi a fait campagne aux côtés d’un vieux routier de la politique congolaise. Il s’agit de l’ex-président de l’Assemblée nationale et ex-allié de Kabila, Vital Kamerhe. Il est pressenti pour devenir Premier ministre.
Avant de gouverner convenablement la RDC, le nouveau président devra d’abord désamorcer adroitement les tensions post-électorales, prendre de l’ascendant sur les forces de sécurité acquises au président Kabila et mettre de l’ordre dans les arcanes des milieux économiques, habitués aux pratiques opaques de l’ère Kabila.
Nasser Deka
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