Michel Aoun, 81 ans, a été élu président de la République libanaise par le parlement, après deux ans d’embrouilles politico-confessionnelles. Une élection complexe dont le pays du cèdre détient le secret.
«Je jure devant Dieu de respecter la Constitution libanaise et de préserver l’indépendance et l’intégrité du territoire libanais », a déclaré le président élu, lors de son investiture devant le parlement ce 1er novembre. Une phrase solennelle qui a résonné comme une mise en garde en direction de la Syrie. Même affaibli par la guerre, le régime syrien demeure l’ennemi juré de l’ancien chef d’Etat major de l’armée libanaise qui a vécu quinze ans en exil à cause de l’ingérence du régime des Al-Assad dans la vie politique du Liban.
Michel Aoun, chrétien maronite et principal animateur de la vie politique du Liban depuis le début des années 80, succède à Michel Sleiman qui a quitté le palais présidentiel de Baabda le 25 mai 2014. Le Parlement (Chambre des députés) a échoué quarante-cinq fois de suite à lui trouver un successeur à cause du boycott des partisans de Michel Aoun et de ses alliés du Hezbollah.
La quarante-sixième fois fut la bonne ce lundi 31 octobre. Michel Aoun a recueilli 83 voix sur les 127 que compte le parlement libanais. Il a obtenu la majorité requise grâce à une alliance complexe entre sa formation politique, le Courant patriotique libre, le mouvement chiite Hezbollah, le Courant du futur dirigé par l’ancien premier ministre Saad Hariri et le Parti socialiste progressiste du druze Walid Joumblatt.
En dépit de quelques manœuvres dilatoires qui ont obligé le parlement à organiser quatre tours de scrutin, question de jauger les rapports de force entres les différents blocs politiques, Michel Aoun a été élu, conformément au pronostic livré par les médias libanais quelques jours avant le scrutin. Cet arrangement entre parlementaires est une pratique nécessaire à la survie du confessionnalisme constitutionnel forgé en parallèle de la Constitution. Celle-ci a été scellée suite à l’accord de Taëf (Arabie saoudite) en 1989 ayant permis de mettre un terme à la guerre civile.
Le président de la République doit être issu de la communauté chrétienne maronite, élu par le Parlement à la majorité des deux-tiers pour un mandat de six ans non renouvelable immédiatement. Il désigne un premier ministre musulman sunnite qui conduit la politique du gouvernement au pouvoir, en étant responsable de ses décisions devant le Parlement dirigé obligatoirement par un musulman chiite.
Saad Hariri aux commandes du gouvernement
Le nouveau président désignera son premier ministre – président du Conseil des ministres, terme consacré par la Constitution – le 3 novembre, après l’accord des groupes parlementaires. Saad Hariri, 46 ans, allié de Michel Aoun, est fortement pressenti pour occuper ce poste. Ce sera un retour aux affaires pour le fils de l’ancien premier ministre Rafiq Hariri assassiné à Beyrouth le 15 février 2005. Saad Hariri avait déjà dirigé le gouvernement libanais de 2009 à 2011. Il a dû démissionner après le lâchage de ses ministres proches du Hezbollah. La cohabitation avec les membres du Hezbollah risque de produire encore quelques étincelles sous la présidence de Michel Aoun.
Toutefois, Saad Hariri n’a pas de rivaux en mesure de renverser l’alliance qui a soutenu la candidature de Michel Aoun à la présidence. Même le Hezbollah semble jouer le jeu sans anicroche, pour l’instant. Le groupe chiite s’est exprimé publiquement en faveur du leader sunnite du Mouvement pour le futur, facilitant ainsi la tâche au nouveau président.
L’annonce de l’élection de Michel Aoun a aussi reçu un écho positif dans la société libanaise. Les milieux économiques qui ont souffert durant les deux ans de vacance du pouvoir ont également manifesté leur enthousiasme : « L’élection d’un président de la République aura sans doute un impact positif sur la situation économique et les secteurs productifs, dont la majorité ont été affectés de façon négative, ce qui s’est traduit par un recul du montant des investissements, la hausse du chômage et la fermeture de nombreuses sociétés», a déclaré par la voix d’Adnan Kassar, président des Organismes économiques. « Il faut des réformes sur la protection des consommateurs, la grille des salaires, une hausse (de 78 %) du salaire minimum et la protection des investisseurs », a souligné Castro Abdallah, président de l’Union nationale des syndicats des travailleurs (Fenasol).
Jad Chaaban, professeur d’économie à l’Université américaine de Beyrouth est beaucoup plus critique sur l’avenir socio-économique de son pays. « Le danger, c’est que ce gouvernement d’union nationale finisse par privatiser à tour de bras ou multiplier les dépenses publiques pour gagner des sympathisants, en mettant les vraies réformes de côté », a dit l’universitaire dans un entretien accordé au journal libanais l’Orient le jour.
Sur le plan politique, l’Arabie Saoudite, soutien du clan Hariri, l’Iran et la Syrie, protecteur du Hezbollah sont pour l’instant satisfaits de l’échiquier politique qui se dessine à Beyrouth. Leur influence sur la conduite des affaires libanaises est déterminante pour la stabilité sociopolitique. Le désir d’indépendance de Michel Aoun sera donc un exercice d’équilibriste pendant son mandat, pour ne pas contrarier les intérêts des uns et des autres.
La Rédaction
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Parcours politique de Michel Aoun
janvier 1983
En pleine guerre civile, les Libanais découvrent un officier loyaliste plein de fougue, à la tête d’une petite brigade. Il oppose une farouche résistance aux troupes syriennes qui ont pris d’assaut le palais présidentiel de Baabda avec l’aide des miliciens du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt. Il est promu général le 23 juin 1984 et nommé chef d’Etat major de l’armée libanaise.
Septembre 1988
En fin de mandat, le président Amine Gemayel quitte le pouvoir, sans successeur. Pour éviter un vide constitutionnel, il nomme Michel Aoun à la tête d’un gouvernement militaire dont la tâche est d’assurer l’élection d’un nouveau chef de l’État. Premier ministre de transition en quelque sorte, il cumule les postes de ministre de la Défense nationale, de l’information et de commandant en chef de l’armée.
Mars 1989
La guerre civile fait rage. Michel Aoun perd le contrôle d’une bonne partie du territoire au profit de l’armée syrienne et des milices rivales. Il est obligé de se retrancher dans le palais présidentiel de Baabda et refuse de reconnaître l’autorité du nouveau président René Moawad, désigné après la conclusion d’un accord de paix signé à Taëf, en Arabie Saoudite.
Novembre 1989
René Mowad est assassiné. Elias Hraoui le remplace à la présidence du Liban. Nouveau refus de Michel Aoun de transmettre le pouvoir et livre des combats contre des miliciens chrétiens membres des Forces libanaises, mouvement dirigé par Samir Geagea.
Octobre 1990
L’armée syrienne parvient finalement à déloger Michel Aoun du palais présidentiel de Baabda. Il se réfugie à l’ambassade de France à Beyrouth.
Aout 1991
Un commando l’exfiltre de Beyrouth et l’aide à regagner la France. Son exil durera 15 ans. Loin du pays, il crée avec quelques proches un mouvement politique, le Courant patriotique libre, pour continuer la lutte contre la présence syrienne au Liban.
Février 2005
L’ancien premier ministre Rafiq Hariri est assassiné à Beyrouth. Cet événement déclenche de gigantesques manifestations dans plusieurs villes libanaises pour appeler au départ des troupes syriennes accusées d’être à l’origine du drame.
Mai 2005
Départ des troupes syriennes et retour au Liban de Michel Aoun.
Février 2006
Michel Aoun signe un document d’entente avec le Hezbollah, jetant les bases d’une alliance encore en vigueur en 2016.
Octobre 2016
Samir Geagea, vieil adversaire de Michel Aoun et prétendant au poste de président depuis le départ de Michel Sleiman en 2014, se retire de la course. Saad Hariri et le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, annoncent leur soutien à la candidature de Michel Aoun. Il est élu président le 31 octobre, grâce à cette alliance élargie.
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