
Après des semaines de manifestations menées par la jeunesse, l’armée suspend la constitution et promet une transition de deux ans.
Le mardi 14 octobre 2025 à 16h00, le colonel Michaël Randrianirina et les forces armées sous son commandement ont pris le contrôle du Palais d’État d’Ambohitsorohitra, siège de la présidence malgache.
Face aux médias présents, il a proclamé que l’armée s’emparait du pouvoir et établissait une instance transitoire : le Conseil de Défense Nationale de Transition (CDNT). Le Colonel a affirmé qu’il s’agissait non pas d’un putsch, mais d’une « prise de responsabilité ». Il a promis le retour à un régime civil dans un délai de deux ans.
Dans un discours au ton déterminé, l’officier a motivé cette intervention par un « vide institutionnel devenu insoutenable », dans le contexte d’une crise politico-juridique qui paralyse le pays depuis quatre jours. Il a déclaré que Madagascar se retrouvait sans leadership et qu’aucun responsable politique ne s’était manifesté durant cette période, une situation qu’il a jugée intolérable.
Le colonel Michaël Randrianirina a pris la parole juste après l’organisation d’un vote à l’Assemblée nationale où 130 députés sur 131 ont « validé » la destitution du président d’Andry Rajoelina.
Dans la foulée, les nouveaux maîtres du pouvoir à Antananarivo ont annoncé la dissolution de toutes les principales institutions de Madagascar, y compris la Cour suprême, la commission électorale et le Sénat, mais ont maintenu l’Assemblée nationale.
Pour donner une touche légale à ces décisions, ils ont mis à contribution la Haute cour constitutionnelle qui a constaté la vacance du pouvoir et a formellement désigné le colonel Michaël Randrianirina comme étant le chef de l’État par intérim.
Le spectre de 2009 plane à nouveau sur Madagascar. Mettant fin à seize années de règne chaotique d’Andry Rajoelina, cette intervention militaire replonge la Grande Île dans le brouillard de l’instabilité politique dont elle est coutumière. Le soulèvement populaire inédit orchestré par la « Génération Z malgache », écho local des mouvements de jeunesse qui ont secoué le Kenya, le Maroc, le Bangladesh et le Népal, risque de s’intensifier, si les militaires n’apportent pas très vite des réponses concrètes aux revendications d’une jeunesse qui ne compte pas baiser la garde.
Le paradoxe est saisissant : le CAPSAT, cette même unité militaire qui avait porté Rajoelina au pouvoir lors du coup d’État de 2009, vient de signer sa destitution. L’ancien DJ devenu homme d’affaires, qui s’était présenté comme un modernisateur, termine son parcours politique comme il l’avait commencé – par un putsch militaire. Réfugié dans un « lieu sûr » (sur l’île Maurice, selon plusieurs sources), Rajoelina a refusé de démissionner jusqu’au bout, dénonçant ceux qui réclamaient son départ comme voulant « détruire le pays. »
Ce qui distingue ce soulèvement des précédentes crises malgaches, c’est son ancrage générationnel. Le mouvement « Gen Z Madagascar », fer de lance des manifestations déclenchées le 25 septembre à Antananarivo, incarne une nouvelle forme de contestation politique en Afrique. Son emblème – un crâne de pirate coiffé d’un chapeau traditionnel malgache, inspiré du manga japonais « One Piece » – est devenu le symbole d’une jeunesse mondialisée qui brandit les mêmes références de Jakarta à Katmandou, en passant par Nairobi.
Sur leur site web, les activistes affirment : « Grâce à la technologie numérique et à la voix de la génération Z, nous ferons entendre notre voix à la table du pouvoir. » Leurs trois revendications étaient claires : démission immédiate de Rajoelina, démantèlement des institutions corrompues et poursuites judiciaires contre Maminiaina Ravatomanga, conseiller et homme d’affaires proche du président, symbole de la collusion entre pouvoir et argent.
La colère des délestages permanents
Si les manifestations ont éclaté fin septembre, leurs racines plongent dans le quotidien éprouvant des Malgaches. Les coupures d’eau et d’électricité persistantes, qui privent entreprises et foyers de services essentiels pendant plus de douze heures par jour, ont servi de détonateur. La compagnie publique Jirama, gangrénée par la corruption et la mauvaise gestion, cristallise toutes les frustrations. Selon le Fonds monétaire international, seul un tiers de la population a accès à l’électricité – un chiffre dramatique pour un pays qui ambitionne le développement.
Cette colère initiale contre les délestages s’est rapidement muée en rage contre un système tout entier. Les manifestants dénoncent la pauvreté endémique, le coût de la vie astronomique et une corruption d’État qui enrichit les élites aux dépens du peuple. Les chiffres de la Banque mondiale sont accablants : environ 80% des 31 millions d’habitants vivent dans l’extrême pauvreté en 2022, conséquence d’une instabilité politique chronique et de catastrophes climatiques dévastatrices qui compromettent la sécurité alimentaire.

Une répression sanglante et vaine
Face à la contestation grandissante, le régime Rajoelina a réagi par la force. Les Nations unies dénoncent une répression « violente » : balles en caoutchouc, grenades assourdissantes, gaz lacrymogènes. Le bilan est lourd : au moins 22 morts et des dizaines de blessés selon l’ONU, même si le gouvernement conteste ces chiffres. Les manifestants, pour leur part, ont bloqué les routes avec des pneus enflammés et des pierres, et auraient attaqué des bâtiments publics et des infrastructures.
Les tentatives d’apaisement de Rajoelina sont apparues comme autant d’aveux d’échec. Le limogeage de son Premier ministre, le remaniement gouvernemental, la nomination du général Ruphin Fortunat Zafisambo le 6 octobre, l’invitation au dialogue – rien n’y a fait. Les manifestants, qui accusaient le gouvernement de gouverner « par les armes », ont rejeté toute négociation.
Le tournant décisif survient samedi dernier, lorsque le CAPSAT annonce son soutien aux manifestants et refuse « les ordres de tirer. » Dans une déclaration, l’unité d’élite brise le pacte qui liait l’armée au président depuis 2009, qualifiant les événements de « tentative de prise de pouvoir » aux yeux d’Andry Rajoelina. La messe est dite.
Les défis d’une énième transition
Luke Freeman, expert de Madagascar à l’université de Londres, exprime des sentiments partagés. Déçu que l’armée ait « outrepassé les limites de la Constitution », il reconnaît néanmoins que « cette intervention a une date butoir, contrairement à la transition de 2009 » qui avait duré plusieurs années avant de rétablir un processus électoral normal.
L’universitaire soulève une question cruciale : comment intégrer les jeunes de la Génération Z, artisans du soulèvement, dans le futur dispositif politique ? « Ils ne peuvent pas continuer ainsi, cela fait le jeu de Rajoelina qui se pose en victime », prévient-il. Le risque est réel de voir le président déchu instrumentaliser son éviction pour tenter un retour.
Pour Madagascar, premier exportateur mondial de vanille mais l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, fortement dépendant de l’aide internationale, l’enjeu dépasse la simple alternance politique. Il s’agit de briser le cycle infernal des coups d’État et contre-coups d’État qui paralysent le développement depuis des décennies. La Grande Île a connu une instabilité chronique depuis son indépendance en 1960, avec de multiples crises politiques et transitions militaires.
La communauté internationale observe avec attention cette nouvelle page de l’histoire malgache. Les deux prochaines années diront si Madagascar peut enfin sortir de l’ornière ou si, une fois encore, la transition prometteuse débouchera sur une nouvelle impasse. Pour les jeunes qui ont bravé la répression, l’espoir d’une « société libre, égalitaire et unie » ne peut plus attendre.
Carrefour-Soleil