Adieu à « Pepe » Mujica, un leader hors norme

Figure emblématique de la gauche latino-américaine et ancien président de l'Uruguay, José Mujica s'est éteint le 13 mai à l'âge de 89 ans.
José Mujica un stratège politique avisé, capable de concilier idéaux socialistes et pragmatisme démocratique.

José Mujica, figure emblématique de la gauche latino-américaine et ancien président de l’Uruguay, s’est éteint le 13 mai à l’âge de 89 ans. Le président actuel Yamandú Orsi a annoncé sa disparition dans un communiqué empreint d’émotion : « Président, militant, référent et conducteur. Tu nous manqueras beaucoup, mon vieux. » Atteint d’un cancer de l’œsophage diagnostiqué en avril 2024, Mujica vivait modestement en périphérie de Montevideo.

Son passage à la présidence (2010-2015) a profondément transformé l’Uruguay, devenu pionnier en matière de réformes sociétales. Sous son mandat, le pays a été le deuxième d’Amérique latine à dépénaliser l’avortement et à légaliser le mariage égalitaire, ainsi que le premier au monde à légaliser intégralement la marijuana.

Avant d’accéder aux plus hautes fonctions, Mujica avait connu un parcours hors du commun. Ancien membre du mouvement Tupamaro dans les années 1960, il avait lutté contre un système politique proche de la dictature militaire, ce qui lui valut plus d’une décennie d’emprisonnement. Libéré en 1985 avec le retour de la démocratie, il s’engagea dans la politique institutionnelle.

Ce qui distinguait « Pepe » Mujica était autant son discours contre les excès du consumérisme que son style décontracté, apparaissant sans cravate, décoiffé, cultivant des chrysanthèmes avec sa femme et sa chienne à trois pattes. Malgré cette simplicité affichée, il fut un stratège politique avisé, capable de concilier idéaux socialistes et pragmatisme démocratique, comme il l’exprimait au New York Times en 1986 : « Nous sommes avant tout des politiciens, pas des partisans de la violence ou du terrorisme. Mais nous n’allons pas nous compliquer la vie d’une manière qui rendrait la liberté démocratique intenable.»

Pendant son mandat présidentiel, José Mujica a perpétué l’héritage social et économique de son prédécesseur et successeur Tabaré Ramón Vázquez Rosas tout en initiant des projets novateurs, notamment un ambitieux plan de transition énergétique vers les sources renouvelables.

Sa notoriété internationale s’est considérablement renforcée en 2014 lorsqu’il proposa d’accueillir des détenus de Guantanamo sur le sol uruguayen, espérant contribuer à la fermeture de cette prison controversée. Malgré l’opposition de nombreux citoyens, six prisonniers furent finalement transférés en Uruguay en décembre, durant les dernières semaines de son mandat.

Son administration n’a toutefois pas échappé aux critiques, notamment concernant un style de gouvernance jugé désorganisé et des promesses non tenues en matière d’accès équitable à l’éducation et au logement.

Dans une Amérique latine marquée par la corruption, la violence et l’instabilité financière des années 2010, José Mujica incarnait une gauche plus modérée que ses homologues Hugo Chávez au Venezuela ou Cristina Fernández de Kirchner en Argentine. Son approche pragmatique visait à améliorer le capitalisme et la démocratie de l’intérieur. Désenchanté par l’idéal cubain de sa jeunesse, il avait même déclaré lors d’une visite présidentielle à La Havane : « Même si le capitalisme est une merde, c’est celui qui aide à grandir. »

Après sa présidence, José Mujica siégea brièvement au Sénat pendant trois ans avant de se retirer en 2018. Ses dernières apparitions publiques à l’automne dernier furent consacrées au soutien de son protégé Yamandú Orsi, candidat du Front large à la présidence.

Dans l’une de ses ultimes interviews en 2024, il livra une réflexion lucide sur le pouvoir : « Le problème est que le monde est dirigé par les personnes âgées qui oublient comment ils étaient quand ils étaient jeunes. »

Carrefour-Soleil

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