Le tribunal militaire de Ouagadougou a condamné à perpétuité l’ancien président Blaise Compaoré, Hyacinthe Kafando et Gilbert Diendéré, trois principaux responsables de l’assassinat du capitaine Thomas Sankara et ses 12 compagnons lors d’un coup d’État sanglant en octobre 1987.
Plus de 34 ans après les faits, après plusieurs années d’instruction, l’audition de plus de 110 témoins et 6 mois d’audience, le verdict est enfin tombé ce 6 avril 2022 au Tribunal militaire de Ouagadougou. Cette juridiction a rendu son verdict sans la présence du principal accusé, Blaise Compaoré.
Exilé en Côte d’ivoire, l’ancien président a donc été condamné par contumace. Il a refusé de retourner au Burkina Faso pour le procès, et la Côte d’Ivoire a ignoré la demande d’extradition des autorités de Ouagadougou. L’ancien putschiste a toujours nié tout rôle dans la tuerie.
Hyacinthe Kafando, ancien commandant de la garde de Blaise Compaoré était également absent du procès. Il est en fuite depuis 2016. Le général Gilbert Diendéré (déjà condamné à 20 ans de prison pour sa participation à une tentative de coup d’État en 2015) et 11 autres accusés ont assisté à ce procès.
Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré sont reconnus coupables de « complicité d’assassinat » et Hyacinthe Kafando, soupçonné d’avoir mené le commando qui a tué Thomas Sankara, d’« assassinat ». Huit autres accusés sont condamnés à des peines allant de trois ans à vingt ans de prison. Trois accusés, enfin, ont été acquittés.
Les condamnés ont quinze jours pour faire appel. Les juges ont eu la main lourde en allant au-delà des réquisitions du Parquet militaire qui avait demandé 30 ans de prison contre Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando et 20 ans contre Gilbert Diendéré.
Soulagement de la partie civile
« Le juge a donné son verdict selon la loi et tout le monde apprécie », a déclaré la veuve du président assassiné, Mariam Sankara, présente au procès. « Notre but c’était que les violences politiques au Burkina finissent. Ce verdict va donner à réfléchir à beaucoup de personnes », a-t-elle ajouté.
« Aujourd’hui, je peux dire que je suis fier d’être Burkinabè et avocat. Je suis fier de voir l’aboutissement d’un combat judiciaire de près de 30 ans », s’est réjoui Guy Hervé Kam, l’avocat de la famille Sankara.
« C’est un jour de justice pas seulement pour Thomas Sankara et ses compagnons, c’est un jour de justice pour tout le peuple burkinabè. Nous espérons que ce jour historique marquera le début d’une ère nouvelle, pour la justice burkinabè », s’est exclamé Prosper Farama, un autre avocat de la famille Sankara.
« Étant un accusé présent, il a pris la même peine que ceux qui étaient absents. J’ai trouvé cela, sans rentrer dans les détails, pas tout à fait juste. Parce qu’il est venu quand même apporter sa contribution en s’expliquant devant le tribunal », a protesté Mathieu Somé, l’un des rares avocats de la défense à s’exprimer sur l’issue du procès. L’auxiliaire de justice a laissé entendre qu’il projetait de faire appel, déterminé à plaider une nouvelle fois l’acquittement de son client qui décline toute responsabilité dans la mort de Thomas Sankara.
Témoignages poignants
Le procès s’est ouvert le 11 octobre 2021 avec des témoignages poignants de quelques-uns des acteurs du putsch du 15 octobre 1987. Yamba Elisée Ilboudo, un des soldats membres du commando qui a pris d’assaut le siège du Conseil national de la révolution où s’est produite la tuerie, a clairement désigné Blaise Compaoré comme étant l’instigateur du coup d’État. Il a relaté que tout a été préparé au domicile de l’ancien président burkinabé.
Il a indiqué que « Hyacinthe Kafando, qui nous commandait en tant que chef de sécurité, m’a demandé de démarrer un véhicule pour nous rendre au Conseil de l’entente. » Une fois sur les lieux, le commando s’est mis à mitrailler sur tout ce qui bougeait. Selon Yamba Elisée Ilboudo, après les premiers tirs, il a vu Thomas Sankara « sortir de la salle de réunion, les mains en l’air, demander ce qui se passe. »
« C’est Hyacinthe Kafando et Maïga qui l’ont croisé. Je ne sais pas qui a tiré en premier sur le président Sankara. Il est tombé sur les genoux avant de basculer sur le côté gauche », a-t-il raconté.
Ce témoin clé a néanmoins assurer au Tribunal ne pas avoir participé à une rencontre préparatoire à ces évènements. « Je ne savais pas qu’on partait faire un coup d’État, à plus forte raison ôter la vie de quelqu’un », a-t-il plaidé.
Une bande sonore enregistrée quelques jours après le putsch a permis au Tribunal d’établir avec certitude l’implication de Blaise Compaoré qui a toujours nié avoir commandité l’assassinat. Dans le fichier, on entend Blaise Compaoré expliquer à ses acolytes que Thomas Sankara était un « traître à la révolution qui menait un pouvoir autocratique » et « personnel ». « Les autres camarades avaient décidé de le démettre » ou de le forcer à « démissionner », a-t-il ajouté avant de justifier la « nécessité d’une rectification ».
Le procès a aussi permis de souligner vaguement l’existence d’un complot international fomenté contre une icône panafricaine résolument antiimpérialiste, déterminée à bouleverser l’ordre mondial en prenant la défense des pauvres et des opprimés. « Le drame du 15 octobre 1987 est arrivé sous la pression de certains chefs d’État, tels que Félix Houphouët-Boigny de la Côte d’Ivoire », a témoigné Abdoul Salam Kaboré, ministre des Sports de Thomas Sankara.
Entendu en visioconférence depuis la France, Moussa Diallo, aide de camp du président assassiné, a affirmé que le putsch d’octobre 1987 a été prémédité et que le président Houphouët Boigny, grand ami de la France, était « au centre de ce complot ». Houphouët Boigny avait dit à Thomas Sankara : « Il faut que vous changiez. Si vous ne changez pas, nous allons vous changer », a relaté Serge Théophile Balima, ancien directeur de la télévision nationale.
Ce procès historique a été interrompu à cause du putsch du 3o janvier qui a renversé le président élu Roch Marc Christian Kaboré et entraîné la suspension de la Constitution. La défense a voulu exploiter cet événement politique pour demander l’abandon des charges contre les accusés, au motif que ces derniers ne pouvaient être condamnés pour « attentat à la sûreté de l’Etat », dans la mesure où le putsch du lieutenant-colonel Damiba, validé par le Conseil constitutionnel, constituait en lui-même un attentat à la sûreté de l’État. L’argument a été rejeté par le Conseil constitutionnel, permettant la reprise du procès.
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