La publication d’une liste de 50 milliards de dollars de produits chinois susceptibles d’être taxés à l’entrée des États-Unis par l’administration Trump et l’annonce de représailles chinoises ont alimenté la crainte d’une guerre commerciale entre les deux géants économiques mondiaux. Mais le président chinois a fait comprendre à Washington qu’ils jouent dans la même cour du libre-échange, ou il a désormais le privilège de faire valoir son interprétation des règles du jeu.
« Dans un monde qui aspire à la paix et au développement, une mentalité de guerre froide ne servirait à rien », a déclaré Xi Jinping à l’ouverture du Forum économique de Boao pour l’Asie (BFA), le 10 avril dernier.
Ce rendez-vous annuel, version chinoise du Forum de Davos, a attiré cette année des dirigeants du monde entier. Le président chinois a choisi cette occasion pour clarifier la position de la Chine vis-à-vis de la guerre commerciale déclarée par son homologue américain. L’empire du Milieu a fait savoir qu’il est prêt à répliquer à chaque coup tarifaire porté par Washington tout en déclarant ouvertement son ambition de jouer le rôle de nouvelle locomotive pour le libre-échange, sans faire profil bas devant les injonctions américaines.
Pour l’empire du Milieu, les échanges commerciaux sont indispensables. Mais, prévient-il, ils ne constituent pas une arme de domination, pas une démarche unilatérale. « La Chine ne cherche pas l’excédent commercial ! Nous espérons sincèrement muscler nos importations », a martelé Xi Jinping, en guise d’invitation aux grandes puissances exportatrices intéressées par le gigantesque marché chinois.
Réduire les tarifs sur les importations
La Chine entre sans peur ni réticence dans une nouvelle ère d’ouverture au monde, sans modifier son système politique. Pour le prouver, le président chinois a annoncé que son pays s’engage dès cette année à réduire les tarifs chinois sur les importations d’automobiles et « d’autres produits ».
Le dirigeant chinois a ainsi pris le contrepied de son homologue américain qui avait annoncé début mars l’imposition de taxes de 25% sur les importations d’acier et de 10% sur celle d’aluminium de plusieurs pays. Il avait aussi pris la décision d’imposer de nouvelles taxes sur 50 milliards de dollars d’importations chinoises. Donald Trump avait également menacé d’imposer des droits de douane supplémentaires de 150 milliards de dollars sur des importations chinoises, après avoir pris connaissance de la réplique chinoise ; Pékin avait dévoilé une liste de 128 produits sur lesquels il affirmait vouloir appliquer des droits de douanes au même niveau que celui décidé par Washington.
Le discours du président chinois a permis aux participants au Forum de Boao de vérifier la ferme volonté de Pékin de prendre la tête du libre-échange, en montrant l’exemple. Xi Jinping a exprimé clairement l’intention de son pays d’autoriser les entreprises étrangères à contrôler des banques, firmes de courtage ou de gestion d’actifs. Le secteur financier était jusque-là le domaine protégé de l’État chinois. Mais les règles seront toujours sous contrôle strict des autorités chinoises.
Il a également promis un assouplissement des dispositions restrictives encadrant les capitaux étrangers dans les entreprises actives dans les industries automobile, navale et aéronautique. Pour l’instant, les constructeurs d’automobiles et d’aéronefs ont toujours l’obligation de collaborer avec des partenaires locaux pour avoir le droit d’exercer en Chine, sans pouvoir décider du cadre opérationnel, ni avoir la maîtrise de leurs investissements.
Xi Jinping a, à la grande surprise des participants, évoqué le dossier brûlant de la propriété intellectuelle. Il a promis « une protection renforcée », par une réorganisation dès cette année de l’organisme national chargé du dossier et un durcissement des sanctions à « effet dissuasif ».
Recherche de soutiens
Xi Jinping a réussi le tour de force de convaincre des dirigeants des institutions internationales, certains dignitaires occidentaux, ainsi que ceux des pays émergents, d’approuver publiquement sa vision du libre-échange. Les médias chinois ont généreusement diffusé les propos des personnalités qui ont soutenu la position chinoise sur la « prétendue » guerre commerciale qui oppose Washington à Pékin.
Myron Brillant fait partie des participants qui ont bénéficié d’une exposition médiatique remarquable. Le directeur des affaires internationales de la Chambre de commerce des États-Unis a été parmi les premiers à féliciter le président chinois qui, selon lui, a donné « un signal positif. » Paraphrasant le numéro un chinois, il a affirmé qu’il n’y aurait « pas de gagnant dans une guerre commerciale ».
Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), a salué les mesures très spécifiques qui « élimineront des barrières » commerciales. « L’histoire économique montre clairement que les guerres commerciales ne nuisent pas seulement à la croissance mondiale mais, encore, qu’elles sont des causes perdues », a-t-elle déclaré.
Stephen Groff, vice-président de la Banque asiatique de développement, de nationalité américaine, a applaudi le discours du président chinois qu’il a estimé être le nouveau visionnaire du libre-échangisme. « Une telle ouverture permet d’accroître la concurrence dans tous les secteurs, ce qui débouche sur plus d’innovation et de meilleurs produits et services, dont profitent en fin de compte les consommateurs », s’est-il exclamé.
Alexeï Chekunkov, directeur général du Fond de développement de l’Extrême-Orient et de la région de Baïkal, était également ravi. Il entrevoit une accélération des échanges économiques entre la Chine et son pays, la Russie. « De magnifiques accomplissements ont été atteints en quarante ans de réforme et d’ouverture en Chine. Dans les quarante prochaines années, la Chine en réalisera sans aucun doute encore davantage », s’est-il exclamé en entrevoyant une similitude de trajectoire entre les deux pays.
Après ces bonnes paroles du Forum de Boao, Pékin et Washington semblent calmer le jeu sur le front commercial. Donald Trump a même publié un tweet pour remercier son homologue chinois. Mais la soif d’hégémonie de ces deux puissances et la frustration américaine de courir désespérément derrière un déficit commercial vis-à-vis de la Chine (375 milliards de dollars en 2017), pavent la piste d’une relation de plus en plus tendue, à défaut d’une guerre commerciale ouverte.
Frank Kodbaye
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