Deux ans d’investigation ont permis à des chercheurs mandatés par le Bureau régional Afrique du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de comprendre les motivations de certains enrôlés des mouvements extrémistes.
L’Afrique abrite de nombreux groupes religieux violents qui sèment la terreur dans plusieurs pays. Leurs adeptes qui sont qualifiés de terroristes, sans aucune distinction, ont rarement fait l’objet d’études. Ils n’ont eu que sporadiquement l’occasion de s’exprimer sur leurs motivations. Les chercheurs du PNUD ont comblé ce vide en s’immergeant dans plusieurs communautés africaines aux prises avec certains de ces mouvements extrémistes, à l’Est et à l’Ouest du continent. Un rapport issu de cette enquête a été publié le 7 septembre dernier.
Cette étude a permis de vérifier méthodiquement et par des témoignages, une assertion avancée à maintes reprises: les groupes tels que Al-Shabaab, Daesh et Boko Haram prospèrent là où l’extrême pauvreté et la marginalisation sévissent.
Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont pu s’entretenir avec plus de 495 anciens militants volontaires d’Al-SHabaab (Somalie et Kenya), de Boko Haram (Nigéria, Cameroun et Niger) et de Daesh (Soudan). La plupart des « ex-combattants » interrogés sont des repentis ou des déserteurs ayant perdu confiance dans l’idéologie, les actions ou les dirigeants de leur groupe.
L’étude révèle que les actes de violence ou d’abus de pouvoir supposés de la part des agents de l’Etat constituent souvent l’élément déclencheur de la décision de rejoindre un groupe extrémiste. La foi n’y joue qu’un rôle de cache-sexe.
Même si plus de la moitié des interrogés ont invoqué la religion pour justifier leur ralliement à un groupe extrémiste, 57% d’entre eux ont admis avoir une connaissance très limitée des textes religieux ou de leurs interprétations, ou ne pas en avoir fait la lecture.
L’étude mentionne que la bonne connaissance de la religion peut renforcer la résistance à l’extrémisme : il a été démontré, parmi les personnes interrogées, que le fait d’avoir suivi au moins six années d’études religieuses réduit de 32 % la probabilité de rejoindre un groupe extrémiste.
Portait des recrues
L’étude fait ressortir le profil-type des personnes attirées par ces groupes. Elles sont jeunes. Elles ont le sentiment d’avoir l’horizon bouché à cause d’un manque de perspectives socio-économiques. Surtout, elles développent une grande méfiance vis-à-vis de tout ce qui représente l’Etat dont la puissance est matérialisée par les agissements brutaux et méprisants des forces de l’ordre.
En effet, dans les pays étudiés, les services publics sont perçus plutôt comme des instruments de répression que de protection. Le respect des droits des citoyens est inexistant. Sans moyens de recours légaux, les témoins de nombreux cas d’abus sont de potentiels candidats à une adhésion aux groupes extrémistes, qui apparaissent alors comme des boucliers.
De ce fait, le terreau est fertile pour la radicalisation religieuse sur une bonne partie précarisée de l’Afrique. «Les zones frontalières et les régions périphériques restent encore isolées et mal desservies. Les capacités des pouvoirs publics dans les domaines critiques ont du mal à suivre le rythme de la demande. Plus de la moitié de la population africaine vit en dessous du seuil de pauvreté, y compris de nombreux jeunes en situation de sous-emploi chronique», a constaté Abdoulaye Mar Dieye, Directeur du Bureau régional du PNUD pour l’Afrique, à l’occasion du lancement du rapport au siège des Nations Unies.
Quelque 33 300 personnes ont perdu la vie dans des actes extrémistes violents perpétrés en Afrique entre 2011 et début 2016. Les opérations de Boko Haram ont à elles seules causé au moins 17 000 morts et provoqué le déplacement de 2,8 millions de personnes dans la région du Lac Tchad.
Plusieurs solutions
L’étude appelle les gouvernements concernés à réexaminer leurs réponses militaires à l’extrémisme, dans la perspective de l’État de droit, de la bonne gouvernance et de leurs engagements en faveur des droits de l’homme.
Parmi les principales recommandations de l’étude figurent l’intervention au niveau local, notamment à travers l’appui aux initiatives communautaires axées sur la cohésion sociale, ainsi que l’amplification de la voix des leaders religieux locaux qui prônent la tolérance.
Les auteurs de l’étude préviennent que ces initiatives doivent être pilotées par des acteurs locaux dignes de confiance. « Il y a une chose dont nous avons la certitude : dans le contexte africain, le porteur du message contre l’extrémisme est aussi important que le message en soi », a précisé M. Dieye. « Cette voix locale de confiance est également essentielle pour apaiser le sentiment de marginalisation qui peut accroître la vulnérabilité au recrutement », a-t-il conclu.
Témoignages de survivants
Un livre et une exposition photographiques ont été réalisés en complément du rapport. De précieux outils pour mieux sensibiliser le public au coût humain de l’extrémisme violent et rappeler les conséquences dévastatrices du cheminement vers l’extrémisme.
Intitulée « Récits de survivants de l’extrémisme violent en Afrique subsaharienne », l’exposition présente des photographies et des histoires documentées en 2016 dans six pays du continent africain directement touchés par l’extrémisme violent. Il s’agit du Burkina Faso, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Nigéria, de la Somalie et de l’Ouganda.
Frank Kodbaye
Avec PNUD
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