Gambie : Haro général contre le despote Jammeh

Yahya Jammeh est le dernier specimen d'une espèce en voie d'éradication, celle des despotes, dans une Afrique occidentale largement convertie à la démocratie élective. Photo:DR
Yahya Jammeh est le dernier specimen d’une espèce en voie d’éradication, celle des despotes, dans une Afrique occidentale largement convertie à la démocratie élective.
Photo:DR

Le fantasque président gambien sera-t-il converti de force à la démocratie par ses homologues ouest-africains ? Absent d’Abuja (Nigeria) où se tenait ce week-end le cinquantième sommet de La Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Yahya Jammeh est sommé par ses pairs de respecter la victoire électorale de son opposant Adama Barrow et de céder le pouvoir. Un départ exigé également par l’Union africaine, le Conseil de sécurité de l’ONU et bien d’autres acteurs intéressés par le sort de ce petit pays peuplé de moins de 2 millions d’habitants.

Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont pris rendez-vous pour le 19 janvier 2017 à Banjul pour l’investiture du président élu Adama Barrow. Au sortir de leur cinquantième sommet, ils ont publié un communiqué dans lequel le départ de Yahya Jammeh, est clairement mentionné. Pour eux, le président gambien, à partir du 18 janvier 2017, sera Adama Barrow, conformément à la volonté du peuple gambien qui s’est clairement exprimé le 1er décembre dernier.

La réponse de Yayhya Jammeh est tombée le 20 décembre sous forme d’une longue allocution télévisée de 45 minutes. Le dictateur y a dénoncé l’ingérence étrangère dans les affaires internes de la Gambie en des termes musclés : « Je ne me soumettrai à aucune puissance étrangère de ce monde. Je veux m’assurer que justice soit faite. Je suis un homme de paix, mais cela ne veut pas dire que je suis un poltron. Je suis un homme de paix, mais cela ne signifie pas aussi que je ne me défendrai pas et défendrai mon pays courageusement, patriotiquement et sortirai victorieux. »

Du côté de la CEDEAO, aucun dirigeant n’a souhaité réagir à chaud à cet acte de défiance de Yayha Jammeh, pour l’instant. Tous s’en tiennent au message délivré à Abuja le 17 décembre dernier dans le communiqué final des travaux de la 50ème conférence ordinaire : «La Conférence  lance un appel au président Yahya Jammeh pour  qu’il accepte le verdict des urnes et s’abstienne de tout acte de nature à compromettre la transition et le transfert pacifique du pouvoir au président élu», mentionne le document. «La Conférence prendra toutes les actions  nécessaires  pour faire  appliquer les résultats des élections du 1er décembre 2016.»

Le président nigérian Muhammadu Buhari, l’homme qui a publiquement déclaré que Yahya Jammeh ne saurait justifier en aucune façon une prolongation de son mandat à la tête de la Gambie après le 19 janvier, est chargé par ses pairs ouest-africains de la mise en œuvre de leur résolution. Le message est plus que clair. Le chef de l’armée la plus puissante de la région a maintenant la légitimité nécessaire pour solder la crise post-électorale dans le plus petit pays membre de la CEDEAO.

Un message que Yahya Jammeh et son entourage ont déjà entendu de très près ; il était évoqué au moment des pourparlers entre lui et ses homologues de la CEDEAO à Banjul le 13 décembre dernier. Et le despote de Banjul sait que la CEDEAO est l’une des rares organisations régionales africaines à disposer d’une force de sécurité opérationnelle : l’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG). Cette force a déjà fait ses preuves au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée-Bissau. « Nous avons actuellement des troupes disponibles en Guinée-Bissau », a prévenu Marcel de Souza, président de la Commission de la CEDEAO.

« Les forces de l’ensemble des pays de la CEDEAO sont prêtes pour une intervention militaire face à un refus de Yaya Jammeh de céder le pouvoir à Adama Barrow…Mais nous ne souhaitons évidemment pas en arriver là », a commenté le patron de la Commission de la CEDEAO.

Adama Barrow a su mobiliser toute l'opposition gambienne pour surprendre Yahya Jammeh. Photo: DR
Adama Barrow a su mobiliser toute l’opposition gambienne pour surprendre Yahya Jammeh.
Photo: DR

Appui panafricain

La présidente de la Commission de l’Union africaine (UA), Nkosozana Dlamini-Zuma a déclaré que Yahya Jammeh a pour devoir d’effectuer « un transfert de pouvoir au nouveau président de la Gambie. » L’ UA, réputée pour ses réactions molles en temps de crises politiques dans les pays membres a cette fois pris une position claire et à temps, en réunissant son Conseil de paix et de sécurité pour appuyer la décision de la CEDEAO, tournant ainsi le dos à un président qui a longtemps profité de son silence sur de nombreux cas d’exactions contre les opposants politiques gambiens.

Le chef de l’Etat tchadien Idriss Deby qui préside actuellement l’UA s’est exprimé en début de semaine pour réitérer le plein soutien de l’organisation panafricaine à la prise de position de la CEDEAO. Il a aussi demandé aux membres des forces de sécurité de la Gambie de respecter scrupuleusement la constitution de leur pays.

Pression sénégalaise

Le gouvernement sénégalais, par la voix de son chef de la diplomatie, Mankeur Ndiaye, a été parmi les premières personnalités étrangères à condamner la dernière palinodie de Yahya Jammeh, la qualifiant de « nulle et de nul effet ». Il l’a qualifiée de «grave atteinte aux principes élémentaires de la démocratie» et a exigé que Yahya Jammeh «respecte sans condition le choix démocratique librement exprimé par le peuple gambien, qu’il organise la transmission pacifique du pouvoir et qu’il assure la sécurité et l’intégrité physique du Président nouvellement élu», Adama Barrow.

Cette sortie médiatique de Mankeur Ndiaye a fait courir une rumeur persistante à Banjul : l’armée sénégalaise est en ordre de bataille pour aller déloger Yahya Jammeh du palais présidentiel et faire respecter l’ordre constitutionnel et le résultat de l’élection présidentielle.

Le Sénégal, plus qu’un voisin, est un partenaire vital pour ce minuscule « pays-couloir » dont la population anglophone partage les mêmes références culturelles. Le président sénégalais, Macky Sall, a été l’inspirateur de la mobilisation de la CEDEAO, dès la publication du refus de Yahya Jammeh de céder le pouvoir. Dakar a également saisi le Conseil de sécurité de l’ONU qui s’est réuni immédiatement le 12 décembre. Le Conseil a adopté une déclaration appelant M. Jammeh à « respecter le choix du peuple souverain de Gambie ».

Avertissement américain

Les Etats-Unis ont activement soutenu l’initiative sénégalaise au Conseil de sécurité pour condamner le comportement « antidémocratique » de Yahya Jammeh. Ils ont décrit la situation en Gambie comme « un moment très dangereux.» Le cabinet du Secrétaire d’Etat américain a lancé un appel « à toutes les composantes de la société gambienne, y compris les élus, les forces armées, les chefs religieux, les partis politiques et les organisations de la société civile pour rejeter la violence et soutenir pacifiquement la volonté populaire exprimée clairement dans les urnes. »

Commentant la position de son pays, l’ambassadrice des Etats-Unis aux Nations-unies, Samantha Power, s’est directement adressé au président gambien : « Vous avez perdu l’élection, président Jammeh et vous devez renoncer au pouvoir et le transmettre à votre successeur librement élu par les Gambiens.»

Cette prise de position américaine menace directement les intérêts du clan Jammeh qui, selon des sources fiables, a placé une bonne part de ses billes au pays de l’Oncle Sam.

Cette forte pression internationale ne laisse pas de marge de manœuvre au dictateur gambien. Il ne peut malheureusement pas compter sur Vladimir Poutine pour faire contrepoids. Le président russe vient d’envoyer un message de félicitation à Adama Borrow.

Yahya Jammeh mise sur une saisine de la Cour suprême pour essayer de faire diversion. Hélas, cette démarche est vouée à l’échec car cette institution est une coquille vide. Il a lui-même limogé depuis des lustres tous les juges qui y siégeaient, « pour indiscipline », et a oublié de nommer les successeurs.

Un grand moment de solitude pour un dictateur distrait, vantard et imprévisible.

Frank Kodbaye

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