La surenchère populiste sanctionnée par le peuple

Forte mobilisation de la société civile pour dire non au renvoi automatique des criminels étrangers.

Les Suisses ont rejeté ce 28 février l’initiative sur le « renvoi effectif des criminels étrangers » pilotée par l’Union démocratique du centre (UDC), un parti classé à l’extrême droite et dominateur de l’échiquier politique suisse depuis de nombreuses années.

Cette consultation populaire a pris une allure inédite dans la longue tradition de démocratie directe helvétique. Le peuple devait en effet approuver une initiative qui exigeait la mise en application d’une première initiative acceptée en novembre 2010.

Les auteurs de l’initiative ont estimé que la procédure parlementaire de validation prenait trop de temps. Ils craignaient aussi une édulcoration du texte adopté. Christoph Blocher, vice-président de l’UDC et principal stratège de sa formation politique n’a pas caché sa méfiance dès 2012. « Les parlementaires vident la démocratie directe de sa substance », a-t-il martelé.

L’UDC a alors adopté la stratégie du « contournement » : convoquer une nouvelle fois le peuple pour se prononcer sur une version plus sévère du texte antérieur. Un étranger condamné pour un crime ou même un délit ou infraction par exemple, un abus dans le domaine de l’aide sociale, devrait être expulsé automatiquement et frappé d’une interdiction d’entrer sur le territoire suisse d’une durée maximale de quinze ans. Tel est le principal dispositif de la nouvelle initiative qui, si elle avait été acceptée, aurait dû être inscrite dans la Constitution.

59% des votants ont dit non, infligeant ainsi à l’UDC sa première défaite sur le thème des étrangers, sa marotte électorale. Environ trois millions et demi de citoyens ont glissé leur bulletin dans l’urne. Le taux de participation a franchi la barre des 63%. Un record depuis 1992. La population urbaine, dont celle de Zurich, Bâle, Lausanne et Genève, a massivement rejeté l’initiative, alors que la Suisse rurale a penché pour le « oui ».

Mobilisation citoyenne

Pourquoi cette participation massive ? Plusieurs politologues attribuent cette importante mobilisation à l’entrée en campagne tonitruante de la société civile. Une première en Helvétie. Beaucoup de Suisses peu habitués aux prises de positions politiques ont daigné cette fois s’exprimer, choqués par des propos xénophobes proférés par quelques cadors de l’UDC. Ils voulaient donner une réponse citoyenne à ces dérives électoralistes, qui stigmatisent plus de deux millions de Suisses d’origine étrangère. Aussi ont-ils considéré que la Suisse dispose déjà d’un arsenal juridique permettant l’expulsion des criminels étrangers. Un point de vue ardemment défendu par la Conseillère fédérale chargée de la police et justice, Simonetta Sommaruga. «La Suisse a aujourd’hui une des lois d’expulsion les plus sévères d’Europe », a-t-elle plaidé.

Forte mobilisation de la société civile pour dire non au renvoi automatique des criminels étrangers.
Forte mobilisation de la société civile pour dire non au renvoi automatique des criminels étrangers. Crédit: Archive Keystone

 

Le sursaut est aussi venu des notables. Onze des dix-huit anciens conseillers fédéraux (ministres), pourtant astreints au devoir de réserve, ont publié un manifeste contre cette initiative. Des intellectuels, artistes et quelques célébrités ont lancé une pétition qui a recueilli plus de cinquante mille signatures. Cinquante-quatre organisations non gouvernementales, ainsi que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ont pris position contre ce texte.

Ce « non » massif permet au Parlement de reprendre la main et faire appliquer l’initiative acceptée en 2010. Elle sera applicable en 2017, dans le meilleur des cas. Avec cette loi, l’expulsion automatique tant décriée sera réservée aux crimes les plus graves que sont les meurtres, les viols, la traite d’êtres humains, le trafic de stupéfiants et autres délits passibles d’au moins trois ans de prison.

Frank Kodbaye