Américains et Russes, parrains des protagonistes de la crise syrienne ont annoncé le 9 septembre à Genève qu’ils ont trouvé un compromis pouvant mettre fin au conflit. Mais les déclarations à la presse des signataires, le caractère secret de l’accord et la configuration complexe de cette guerre ne suscitent que peu d’espoir.
Le chef de la diplomatie américaine John Kerry et son homologue russe Serguei Lavrov sont apparus épuisés dans la nuit du jeudi 8 au vendredi 9 septembre pour annoncer qu’ils sont parvenus à tomber d’accord sur un plan de trêve, après une séance de négociation longue de plus de 13 heures. Il s’agit de faire observer un cessez-le-feu de 7 jours et « d’ouvrir la voie à une paix négociée et à une transition politique en Syrie », a souligné John Kerry.
Si le cessez-le-feu tient, il pourrait conduire à la mise en place d’une coordination militaire entre Russes et Américains, à travers un « Centre conjoint », dans le but de neutraliser rapidement l’ennemi commun : l’Etat islamique (EI) et ses alliés. Cette nouvelle coopération consistera à partager des informations stratégiques relatives aux frappes aériennes. C’est une proposition russe qui date de l’année dernière. Les Américains ont enfin dit oui, sans enthousiasme, selon une source présente dans les coulisses. L’accord prévoit aussi des corridors sûrs pour les opérations humanitaires, notamment pour la ville d’Alep.
Les États-Unis auront la charge de travailler avec des groupes d’opposition et la Russie s’attèlera à faire pression sur le gouvernement syrien de Bachar al-Assad pour s’assurer que le cessez-le-feu soit respecté. « Je tiens à souligner : ces mesures ne peuvent être appliquées efficacement que si toutes les parties s’acquittent de leurs obligations », a déclaré M. Kerry.
Commentant la tâche qui est la sienne en vertu de cet accord, il a déclaré que les rebelles ont intérêt à observer la trêve et, surtout, s’évertuer à « se distancier de toutes les manières possibles » des groupes terroristes Fateh al-Cham, l’ex al-Nosra et l’EI.
Serguei Lavrov a mis l’accent sur l’engagement russe à faire pression sur le régime de Bachar al-Assad pour qu’il soit disposé à négocier avec ses opposants. Toutefois, il a indiqué ne pas être en mesure de garantir « à 100% » la réussite de ce plan de paix. Il a par la suite fait savoir que son gouvernement est toujours méfiant vis-à-vis des différents groupes rebelles qui combattent le régime de Bachar al-Assad, s’attendant à des tentatives de violations de l’accord.
Moins de 48 heures plus tard, c’est plutôt son protégé qui a ordonné le bombardement d’un quartier d’Alep. Cette ville constitue l’enjeu majeur de cette guerre. Bachar al-Assad a en outre fait une déclaration au ton martial ce lundi 12 septembre, jour prévu pour l’entrée en vigueur de la trêve, coïncidant avec la fête musulmane de l’Aïd el-Adha. « Je suis ici avec l’ensemble du gouvernement pour envoyer un message clair que nous sommes déterminés à reprendre chaque bout de la Syrie confisqué par des terroristes, à rétablir la paix et la stabilité dans le pays et à reconstruire tout ce qui a été détruit.»
Une déclaration musclée qui contraste avec le communiqué officiel de la veille qui saluait l’accord américano-russe. Bachar al-Assad avait fait savoir qu’il respecterait la trêve et ferait tout pour donner une chance à ce niè
me processus de paix initié par les deux puissances. L’Iran, ainsi que le groupe armé libanais Hezbollah, deux de ses alliés, ont adopté la même position.
Réserves rebelles
Du côté des opposants au régime syrien, c’est la méfiance qui domine. L’Armée syrienne libre (ASL), composée d’une cinquantaine de factions, considérée par Washington et quelques pays arabes comme étant l’alternative au pouvoir syrien actuel, a publié un communiqué dans lequel elle exprime ses réserves vis-à-vis du plan de trêve. Elle s’engage néanmoins à respecter le cessez-le-feu.
Un leader de l’opposition syrienne en exil, s’exprimant sous anonymat, pense que cette trêve fera long feu. « Tous les protagonistes ne soutiennent cet accord que du bout des lèvres. Les combattants de l’ASL ne resteront pas les bras croisés et laisser Bachar al-Assad reconquérir la Syrie. La situation va dégénérer dans quelques jours quand Russes et Américains procéderont aux premières frappes conjointes pour neutraliser Daech », a-t-il observé. « Bachar al-Assad est d’ores et déjà le grand gagnant de cette erreur stratégique américaine. Et il y aura encore plusieurs milliers de morts, d’autant plus que la Chine s’engage dans ce conflit en apportant une assistance technique à l’armée du régime », a-t-il conclu.
Selon la chaîne qatari al-Jazeera, les leaders de l’ASL sont de nouveau actifs sur le front diplomatique. Dès l’annonce de la signature de l’accord de cessez-le-feu, Ils ont écrit à Washington pour exprimer leur crainte de voir cette décision se transformer en instrument de réhabilitation du régime syrien. Ils sont particulièrement mécontents du fait que l’accord exige le divorce des composantes de l’ASL d’avec Fateh al-Cham et d’autres groupes qualifiés de « terroristes » par les Russes.
Pour l’ASL, se distancier de Fateh al-Cham signifierait la perte d’une branche armée redoutable et bien organisée. Cette faction est de loin la plus efficace face aux assauts de l’armée syrienne. Elle s’est encore illustrée récemment par la prise de la localité d’Idlib et la rupture du siège d’Alep.
Les factions rebelles ont aussi rappelé à Washington que plusieurs accords portant sur des trêves, notamment celui du 27 février 2015, ont volé en éclats peu après leur adoption. Pour eux, le régime de Bachar al-Assad n’est pas digne de confiance et cherche juste à empêcher une transition politique qui ébranlerait les bases du système dynastique.
« Nous voulons savoir quelles sont les garanties», a déclaré Salem al-Muslet, un des porte-parole des rebelles. Il a fait comprendre que les factions anti-al-Assad ne pourront pas entériner cet accord, sans réponse concrète à leurs réserves.
Les principaux acteurs de l’accord, quant à eux, assurent faire le nécessaire pour faire respecter la trêve et éviter une reprise des hostilités. Un premier bilan sera tiré à l’issue du délai de 7 jours. Personne ne sait si des sanctions adéquates sont prévues pour les contrevenants.
Nasser Deka
Leave a Reply