Amnesty international appelle à un sursaut

Il faut une mobilisation planétaire pour espérer faire respecter les droits humains. Crédit: 123RF/Herman Lumanog

Amnesty International vient de publier son bilan annuel. L’organisation y note le nombre croissant de gouvernements qui violent effrontément le droit international, contribuant ainsi à affaiblir les institutions internationales de protection des droits de l’homme.

Au nom de la défense des intérêts nationaux, à des fins électoralistes ou populistes le plus souvent, beaucoup d’États ignorent les droits humains ou tentent de les faire passer pour une menace contre la sécurité, la loi et l’ordre.

Le rapport recense cent vingt-deux États dans lesquels les personnes sont torturées ou maltraitées. Trente pratiquent systématiquement le renvoi des réfugiés ou des migrants, mettant ainsi leur vie en danger. Dans au moins dix-neuf pays, des crimes de guerre ou d’autres violations des « lois de la guerre » ont été commises par des gouvernements ou des groupes armés.

Amnesty international souligne également une tendance inquiétante : de plus en plus d’activistes et avocats des droits de l’homme sont menacés pour le simple fait d’avoir agi pour la protection des personnes subissant des injustices.

« Au lieu de reconnaître le rôle essentiel que ces personnes jouent dans la société, de nombreux gouvernements ont entrepris délibérément d’étouffer toute voix critique dans leur pays», a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty international. Il explique que ce phénomène est dicté par le réflexe sécuritaire des gouvernements face aux menaces de type terroriste en 2015.

« Ils ont étouffé la société civile, s’en sont pris au droit au respect de la vie privée et au droit à liberté d’expression, et ont carrément cherché à rendre les droits humains indésirables, en les présentant comme contraires à la sécurité nationale, à l’ordre public et aux valeurs nationales. Certains ont même ainsi bafoué leur propre législation», a déploré Salil Shetty.

160 pays examinés

L’ONG a passé au crible 160 pays et fait état d’une hausse sensible de violations des droits humains dans certains États réputés sûrs en la matière. C’est le cas de la Suisse où des initiatives populaires sont lancées pour restreindre l’application du droit international et des mécanismes de protection des droits humains au nom des valeurs nationales.

La surveillance de masse au nom de la lutte contre le terrorisme s’est poursuivie au Royaume-Uni en 2015. Le gouvernement s’évertue à se soustraire au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme.

A l’Est du Vieux continent, la Russie, une habituée de la liste, au nom de la « sécurité nationale et la lutte contre l’extrémisme », a mené des initiatives concertées pour réduire au silence la société civile. Elle a refusé effrontément de reconnaître les homicides de civils en Syrie et a implacablement cherché à bloquer toute action du Conseil de sécurité sur ce pays.

Il faut une mobilisation planétaire pour espérer faire respecter les droits humains. Crédit: 123RF/Herman Lumanog
Il faut une mobilisation planétaire pour espérer faire respecter les droits humains. Crédit: 123RF/Herman Lumanog

La Hongrie s’est révélée être une puissance en matière de verrouillage de ses frontières où se présentaient des milliers de réfugiés en détresse. Son gouvernement fait obstacle aux efforts collectifs déployés au niveau régional pour venir en aide à ces populations.

La liste des pays dotés d’un bilan négatif s’est donc allongée. Les abonnés habituels ont conforté leur position.

Au Moyen-Orient, la Syrie est évidemment le cas emblématique de violation massive des droits humains. Des milliers de civils ont été tués dans des bombardements au baril d’explosifs ainsi que dans d’autres attaques directes menées sans discrimination. Le pays se distingue aussi par sa pratique des sièges de zones civiles en faisant subir de pires sévices aux populations dont la privation de nourriture.

Israël est encore épinglé pour le blocus militaire de la bande de Gaza et la répression collective des 1,8 millions d’habitants de ce territoire. Tel Aviv peine aussi à mener des enquêtes sur les crimes de guerre commis pendant le conflit de Gaza en 2014.

L’Arabie saoudite a sévèrement puni celles et ceux qui osaient se prononcer en faveur de réformes ou critiquer les autorités. Elle a commis des crimes de guerre dans le cadre de sa campagne de bombardements au Yémen, tout en bloquant la mise en place d’une enquête des Nations unies sur les violations perpétrées par toutes les parties au conflit dans ce pays.

Plus loin en Asie, la Thaïlande s’est illustrée en 2015 par des arrestations de détracteurs pacifiques qui ont osé jouer des pièces de théâtre à caractère subversif, ou publier des commentaires sur Facebook.

Le Pakistan se distingue par une application frénétique de la peine de mort comme remède contre la multiplication des actes terroristes comme ceux qui ont eu lieu dans une école de Peshawar. Les autorités s’octroient le droit de surveiller étroitement les ONG internationales et de fermer celles qu’elles jugent néfastes pour les «intérêts nationaux ».

Afrique

En Afrique, le Burundi figure en bonne place à cause des massacres systématiques visant des populations jugées proches de l’opposition, ainsi que des journalistes et militants de la société civile.

Le Kenya est accusé de pratiquer des exécutions extrajudiciaires. Des cas de disparitions forcées et de discriminations contre les réfugiés dans le cadre de ses opérations de « lutte contre le terrorisme » ont été enregistrés. Nairobi a tenté d’affaiblir la Cour pénale internationale et sa capacité à rendre justice.

Amériques

Le Mexique fait figure d’épouvantail. Dans ce pays, le bilan en matière de droits humains est catastrophique. Amnesty international y a recensé 27 000 disparus. Le gouvernement s’est illustré par sa virulence vis-à-vis des critiques formulées par l’ONU sur le recours généralisé à la torture, offrant aux auteurs de tels actes une impunité quasi totale malgré l’augmentation du nombre de plaintes.

Le Venezuela brille par l’immobilisme de son système judiciaire face aux cas de violations graves des droits de l’homme et les attaques incessantes contre les défenseurs des droits de l’homme. Caracas ne cesse de dénoncer la Convention américaine des droits de l’homme, après son retrait de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Cette attitude a pour but de faire obstacle à des plaintes de nombreuses victimes de violations des droits de l’homme.

C’est pour inverser cette tendance sécuritaire et le mépris qu’Amnesty international lance un appel à toute la communauté internationale pour une réforme de l’ONU. L’ONG souhaite que le prochain Secrétaire général, qui sera élu à la fin de 2016, puisse être l’homme ou la femme capable de doter l’Organisation d’outils efficaces. « Les États doivent cesser leurs attaques contre nos droits et renforcer les défenses que le monde a mises en place pour les protéger. Les droits humains ne sont pas un accessoire. Ils sont indispensables, et jamais les enjeux pour l’humanité n’ont été aussi forts », a conclu Salil Shetty.

Frank Kodbaye

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