Francophonie: Michaëlle Jean a été sacrifiée sur l’autel de la realpolitik

La Canadienne a fait les frais d'une stratégie françafricaine. Photo: DR

Le 17e Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a pris fin ce vendredi 12 octobre dans la capitale arménienne. La Canadienne Michaëlle Jean, secrétaire générale sortante, a subi un échec dans sa tentative de briguer un second mandat de quatre ans. Les États membres l’ont remplacée par la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. Une décision qui exhale un parfum bien identifié : celui de la Françafrique.

Le scénario de cette reprise en main françafricaine a été écrit depuis fort longtemps par Emmanuel Macron. Le président français ne nourrit aucune animosité envers la Canadienne, mais il tient à ce que le poste de secrétaire général revienne à une personnalité africaine. Dans son entendement, l’OIF doit redevenir une plateforme d’influence française en Afrique francophone, préservée de toute concurrence gênante de la part d’une autre puissance comme le Canada.

Pour masquer les ficelles trop grosses de la manœuvre, les principaux acteurs et de nombreux figurants de cette tragédie francophone ont sauvé les apparences en saluant le travail formidable de Michaëlle Jean à la tête de l’OIF. Mis en minorité, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, dernier soutien de sa compatriote, s’est plié au jeu.

« Michaëlle s’est affirmée comme ardente défenseure des femmes, faisant notamment valoir leur droit à l’éducation et militant pour leur émancipation », a déclaré le premier ministre canadien Justin Trudeau, à l’ouverture du sommet. Emmanuel Macron a renchéri, en soulignant le « combat féministe » de la secrétaire générale sortante. Un matelas d’éloges pour amortir la chute de l’ancienne gouverneure générale du Canada.

La succession de Michaëlle Jean a occulté tous les autres sujets inscrits au programme du 17è Sommet de la Francophonie.
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Au nom des intérêts

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il imposé la candidature de Louise Mushikiwabo, plutôt qu’une autre ? Le président français veut un dégel des relations entre son pays et le Rwanda, suite au génocide de 1994. Se rapprocher de Paul Kagamé, président en exercice de l’Union africaine (UA), c’est accéder à un réseau d’influence qui dépasse les frontières des pays francophones d’Afrique. Emmanuel Macron a bien noté l’envergure prise ces dernières années par Paul Kagamé. Il suscite respect et admiration auprès de ses homologues africains en exhibant le bilan socio-économique de son long règne, qui se prolongera jusqu’en 2030, au minimum.

«On a appuyé la candidate rwandaise quand ça a été clair qu’il y avait un consensus de la part des pays africains, et donc de la Francophonie», a reconnu le Premier ministre canadien, contraint de lâcher sa compatriote.

Le nouveau Premier ministre du Québec, François Legault, s’est également prononcé pour la nomination de Louise Mushikiwabo. Il a indiqué sa préférence bien avant le sommet d’Erevan, juste après son élection. « Je vous annonce que le gouvernement élu de la CAQ n’appuiera pas madame Jean pour sa réélection à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie. Nous nous joindrons au consensus africain qui est plein de potentiel. Il est maintenant temps de laisser place à un nouveau style de gestion », avait-t-il écrit sur Twitter.

La province francophone du Canada a un siège de plein droit au sein de l’OIF. De ce fait, Ottawa s’arrange toujours pour s’aligner sur la position québécoise, quand il y a des enjeux internationaux autour de la question francophone. Un pragmatisme indispensable à la « cohésion » nationale.

Lors de la conférence de presse de clôture du sommet, Justin Trudeau n’a pas regretté son retournement de veste. Il a même affiché son soulagement d’avoir préservé le consensus au sein de la Francophonie. Il n’est pas rentré à Ottawa les mains vides. Un lot de consolation l’a accompagné.

Le Premier ministre canadien a obtenu la nomination au poste d’administrateur de l’OIF – le numéro deux de l’institution – d’un ressortissant canadien. La promesse des pays africains et de la France d’appuyer la candidature du Canada pour un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies a été raffermie par quelques conciliabules en coulisses.

Le deuxième contributeur de l’OIF a également réussi l’éloignement de l’Arabie Saoudite, candidate à une adhésion cette année. Riyad livre en ce moment une guerre froide au Canada depuis l’expulsion de son ambassadeur. Ce dernier a publié sur les réseaux sociaux des déclarations en faveur des droits de l’homme au pays du Wahhabisme. La candidature saoudienne est donc suspendue jusqu’en 2020.

Emmanuel Macron, Paul Kagame et Louise Mushikiwabo, la nouvelle patronne de l’OIF.
Photo: DR

 

Baroud d’honneur

Jusqu’à la dernière minute, Michaëlle Jean a démontré sa motivation pour rempiler, ignorant l’évidence. Dans son discours d’ouverture, elle a exhorté les États membres à ne pas céder aux « petits arrangements entre États.» Elle a insinué être victime des calculs politiques, suppliant les chefs d’États d’orienter plutôt leur décision en fonction des valeurs universelles qui constituent le socle de l’Organisation. « Au moment où nous marchons vers le 50e anniversaire de la Francophonie, demandons-nous ici à Erevan, en toute conscience et en toute responsabilité, de quel côté de l’Histoire nous voulons être », a-t-elle martelé.

Une insinuation de nature à noircir le tableau du Rwanda, pays d’origine de sa remplaçante. Kigali a en effet mis de côté la langue française au profit de l’anglais (langue officielle) en 2008. Le pays est régulièrement pointé du doigt par plusieurs organisations de droits humains pour des restrictions à la liberté d’expression, le contrôle des médias, l’emprisonnement et la torture des opposants.

Cette dénonciation publique était certes courageuse, mais n’a eu aucun effet sur le processus de nomination prévue. Tout a été exécuté à la perfection, à l’exception d’un malaise perceptible et rapporté par quelques médias canadiens.

 Frank Kodbaye

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